• Inframonde


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  • http://www.mesopinions.com/petition/politique/dissolution-femen/10137


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  • Alors qu’une grève de la faim sans précédent frappe le camp de Guantánamo, c’est l’occasion de se replonger dans le film ascétique et spectaculaire à la fois, Essential Kiling, du polonais Jerzy Skolimowski, qui, même s’il ne propose aucune lecture à proprement parler politique du sujet, déploie une plongée brutale et hypnotique dans le conflit afghan.

    http://nawaat.org/portail/2013/05/08/guantanamo-une-greve-de-la-faim-sans-precedent/

     

    Jerzy Skolimowski songeait aux avions de la CIA qui atterrissent dans un endroit  gardé secret  en Europe  Centrale, amenant des prisonniers du Moyen-Orient et faisant des choses mystérieuses avec eux, quand il a rédigé le scénario de ce film.

    Il roulait en 4x4 sur la neige quand il a glissé et s’est retrouvé au bord d’un précipice. Il s’est arrêté juste à temps. Puis a réalisé qu’il se trouvait à moins de 5 km d’une possible piste d’atterrissage, et que c’était probablement la route que prenaient la plupart des convois pour transporter les prisonniers. Le cinéaste a songé que son dérapage pouvait aussi arriver aux véhicules de ces convois de prisonniers. Tout est parti de cet aspect factuel, parce qu’il a eu un accident, il a décidé de créer ce personnage qui va  faire face à la neige pour la première fois  de sa vie, pieds nus, en état de choc, menotté, avec sa combinaison orange.  Pour s’enfuir. Et ce, par tous les moyens. En moins de deux heures, il a rédigé le scénario du film, avec cette énergie propre aux inspirations artistiques fulgurantes.

    http://www.youtube.com/watch?v=_0CR2N4xbfQ

     

    « Vous êtes les trois seuls en vue. La voie est libre. » Trois soldats américains appuyés par un hélicoptère de combat, munis de détecteurs anti-mines,  s’aventurent au fond de vallées  afghanes. Un taliban banalement nommé Mohammed (Vincent Gallo), pourvu d’un physique d’occidental,  qui semble dès les premiers plans comme un « être-jeté », présent malgré lui, récupère sur un cadavre un lance-roquette. « Tous les barbus qui vivent dans ces cavernes, même les plus arriérés.. », échanges de propos à la cantonade entre soldats américains, en mode dilettante, « La voie est libre. Oncle Sam ! Je suis déjà défoncé. » Ils fument de l’herbe.  Soldats éliminés. Le taliban a visé juste. La cible est désormais prise en chasse par l’hélicoptère cette fois. Un missile air-sol le touche. Il semble inerte. Non. Il se tient la tête. Se touche les oreilles. Le souffle de l’explosion. L’ouïe perdue ?

    Un escadron s’en empare. Menotté. Cagoulé. Emmené dans un camp qui s’apparente à Guantánamo. « Est-ce que tu comprends l’anglais ? » L’interrogatoire débute. « Joue pas les débiles. Réponds, dépêche-toi. Tu vas l’ouvrir espèce d’enfoiré. » Ca siffle dans ses oreilles. Le sifflement strident des bombes, de l’indicible. Il ne répond de rien. On le rase. Entre deux aboiements canins. « Enlève ton pantalon. Enlève ta chemise. Tu bouges pas la tête. » La torture commence. Un médecin contrôle son état. L’être-pour-la-mort semble le sceau métaphysique qui caractérise le personnage principal.

    Visions, voix dans sa tête ? Les traumatismes répétés, donnés et infligés, semblent fragmenter le rapport au temps du fugitif, à moins qu’il ne s’agisse non d’hallucinations mais de pures phases extatiques « Ce n’est pas toi qui les as tués. C’est Allah. »

    Casque insonorisant. Cagoules d’ébène. Déportation. Convoi, porc-épic sur route enneigée. Le véhicule où il se trouve dérape, plonge dans un ravin. Le captif s’échappe. Découvre une voiture de civils. Pieds nus sans limaces. Il lève les bras, comme pour se rendre. Le conducteur écoute du Black Metal. Apprend que ce sera des jumeaux par sa copine au téléphone. Le taliban l’exécute. Luisant de sang aux  pommettes.  Mange des restes trouvés dans la boîte à gants. Quitte le véhicule. La neige tournoie aux alentours. Il halète, Chasseurs alpins aux trousses. Blancs. Cerner la cible. On la perd. On la renifle. On la débusque. Elle s’échappe. S’éclipse sous des arbres, se fait happer par un piège à loups, immobilisée. Se défait de sa botte enserrée. Il ôte sa chaussette ensanglantée et la glisse sous la laisse d’un chien de type bâtard, providentiellement de passage. Givre et sang. Frénésie d’aboiements. Repérage. La « nudité première » (René Char) des choses sera à l’oeuvre durant tout le film.  Cette fois un chien-loup s’apprête à  le transpercer. Il glisse, chute, coule. Ciel rosé. Sécrétion des traces de pas poignardant la poudreuse. La forêt boit la nuit, laissant affleurer des nappes blanchâtres à ses cimes.  Cerné. Lâcher son arme ? Cercle lunaire. Pigeons, chameaux, segments de branchages, coqs, il est sur une voie, possiblement sans issue, paille, abri de fortune. Cerfs, eau stratifiée, stalactites, branches tordues sous lesquelles se plier pour passer, accéder à la clairière ? Fourmilier pour repas, ruissellement. La cible s’enfuit dissimulée à bord d’un camion ramenant des tronçons de sapins à une scierie locale. Repéré par les employés. Arbre tronçonné s’abattant sur ses flancs. Lune montante, écorce de sapins. La guerre est déclarée pour lui bien qu’elle lui soit odieuse. Il arrive que l’on aime ce qui est mauvais pour soi et déteste ce qui est bon. Mais l’on ignore pourquoi. Et ce taliban ne semble plus conscient de lui-même, encerclé qu’il est par la virginité neigeuse infinie, Il décapite un employé à la tronçonneuse. Verglas ? Pureté, assurément. Rivière, bois. Nettoyer ces mains éperdument ensanglantées. Mousse, sève, corbeaux, buée, évanouissement. Mares, falaises marbrées, lapiaz. Textile bleuté flottant, branchages entremêlés, jusqu’à l’étourdissement. Femme en burqa. Main contre le cœur. Odeur du sang qui attire la meute canine. Croix de terreur. Il tend les mains vers le ciel, hurle de peur, la folie guette. Se couche, prêt pour la dévoration. Rien ne vient. Il prie ? Un homme pêche en bord de rivière. Ellipse, il le rejoint. Saisit sa dernière proie, un poisson. « T’es fou ou quoi ? Etouffe-toi avec ! Espèce de monstre ! » Il le dévore vivant. Une femme  à vélo s’arrête pour allaiter son bébé. Il la met en joue. Pour allaiter à son tour. Tétanisée, elle s’évanouit. Lampe-torche, « celui qui se bat au nom d’Allah,  nous lui accorderons une formidable récompense. » Il s’endort à même la souche des arbres glacés. S’approche d’une bâtisse en bois. Tracteur, accordéon, saoulerie. Le groupe d’invités s’en va. Une femme sourde-muette, Margaret (Emmanuelle Seigner), demeure  seule, l’aperçoit branlant, tremblant,  le tire comme une bûche chez elle. Découvre son arme. Il est inanimé. Ecoute son cœur. Touche sa plaie. Découvre la béance. Il hurle. Elle s’effraie. Le panse quand même. En silence. Lui offre un cheval. Croix au mur. Le taliban silencieux reprend sa place d’homme dans le monde, il n’est plus seul, fou, ni soldat, par son entremise silencieuse, grâce à elle. Elle l’a habillé, soigné, le terroriste terrorisé n’est alors plus qu’un homme qui va mourir,  sur un cheval. Un homme.

    Son sang se répand sur son ultime monture. Enturbanné de noir, d’écarlate et de blanc, il meurt. Libre.

     


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    Des faits divers se multiplient à travers le monde se référant à la notion de zombie. L'occasion d'explorer un film de ce genre emblématique afin de comprendre à quelle sauce nous renvoie cette figure dite légendaire.

    Land of the Dead est produit par The Science of Sensation, Pan-européenne, Wild Band, Atmosphere Entertainment, réalisé par Georges Romero, le maître du genre, propose de décrire un avenir proche, des survivants barricadés dans une ville bunker où ils vivent encore dans le souvenir de l'ancien monde. Des zombies s'organisent pour prendre d'assaut cette cité réputée imprenable. Kaufman, autoproclamé chef de la cité, engage un commando de mercenaires pour contrer les attaques de ces morts-vivants d'un genre nouveau...

     

     

    http://rense.com/general38/frug.htm

     

    http://www.ladepeche.fr/article/2012/05/29/1364595-miami-nu-il-devore-le-visage-de-sa-victime-avant-d-etre-abattu.html

     

    http://www.au-troisieme-oeil.com/index.php?page=actu&type=skr&news=39595

    http://www.youtube.com/watch?v=KFR4mzxXPO0

     

    « Voici quelques temps déjà, les cadavres reviennent à la vie et se nourrissent des vivants. Toute personne qu'ils mordent devient comme eux. Ne quittez vos maisons sous aucun prétexte. Ils semblent survivre en mangeant de la chair humaine. Ce ne sont ni vos voisins ni vos amis. Ils ne le sont plus. »
    -« Je lui ai mis un fer à friser dans la tête. » « Il faut les détruire au plus vite, nous n'avons pas le temps d'organiser d'obsèques. Tant que nous serons vivants, ils ne seront jamais rassasiés. Si jamais ces gens ont une capacité à penser. »
    -« Les villes sont en état de siège, ils créent des avant-postes pour piller les villes comme des hors-la-loi. Ils essaient d'être nous. »
    -« Non, ils étaient comme nous et ils essaient de le redevenir. »
    -« Je crois pas, une espèce de virus les fait se relever mais il y a une grosse différence entre nous, ils font semblant d'être vivants. »
    - « C'est pas ce qu'on fait, semblant d'être vivants ? »

    Un trio de zombies se pavane dans un kiosque à musique, jouant maladroitement du trombone. Des grappes d'êtres en décomposition avancent dans la ville, de nuit, de jour, chaotiques, insolidaires, et aveuglément enragés.


    -« Il y a un bon gros paquet de merde cette semaine »
    - « C'est ça la vie, l'astuce c'est de ne pas tomber dedans. »


    L'abjection contenue par ces corps destructurés contamine la sensibilité du premier venu tant par les morsures que par le regard. Leur simple présence au monde semble signifier le délitement de tout paravent civilisationnel et de toute intention de sublimation, de transcendance. Le zombie semble rivé à la pourriture, à la mort, en lui conférant le pouvoir du vivant, de l'effectif. En donnant corps, odeurs, couleurs, sons, à ce qui est censé disparaître de l'horizon mondain. Le refoulement de ce qui doit disparaître mais au contraire se duplique et envahit l'horizon constitue l'abjection menaçante. Car si des êtres ne sont pas vraiment des êtres mais ont la possibilité de cohabiter avec ceux qui prétendent détenir cette authenticité, alors la collusion charrie un risque de basculement irréversible vers l'informe, l'infrahumain, l'inframonde. Un monde en-dessous du monde, des esprits sous les esprits, des corps sous les corps. Une autre vie derrière la vie, une autre mort derrière la mort. L'inorganique défiant l'organique, la dissolution des formes et des ordres au profit d'une anomie délétère, d'une plasticité sans contours ni fin. L'espace-temps du zombie est indéterminé, impensé, sa conduite l'est tout autant. Il peut dévorer sa filiation, ses parents, ses enfants, lui-même. Les remparts civilisationnels sautent devant sa déréliction acharnée, mettant les foules bien portantes face une terrible contradiction, le respect dû aux morts ne peut être pratiqué quand ils sont vivants. Des morts qui s'invitent chez les vivants, habilités par leurs chairs et leurs instincts à pourrir la tranquille habitude de dissimuler cet inframonde. Le territoire zombifié vient contredire l'utopie d'un cosmos bienveillant, finaliste et harmonieux, il est l'anomalie révélatrice du chaos sans fond ni forme. Son irréductibilité contre-nature affirmée dans le sang et les tripes tient à sa part de décomposition définitive, qui ne s'allie à d'autres que pour les perdre après avoir mutilé leurs corps et leurs raisons. Dans Land Of the Dead, il prend la figure sociale de l'exclu, du pestiféré qu'il faut éliminer pour ne pas rompre le paradis climatisé que l'humanité tente de maintenir à distance de sa corruption élémentaire.
    Corruption qui plonge le singulier dans l'indistinction des viscères fumantes. Les zombies ne semblent pas avoir de sexualité à proprement parler, leur orgasme se révélant dans la dévoration de l'altérité.

     


    - « Les fleurs dans le cimetière sont des fleurs célestes qu'on voit au paradis. »
    Il est question de feux d'artifice capables d'attirer en extase par leurs lumières pétaradantes les hordes zombifiées.
    « -On dirait que Dieu s'est mis aux abonnés absents, ma poule. »
    « -Les morts sont aussi bêtes que moi. »
    « -Oui mais t'as appris à te rendre utile. »
    « -Eux aussi. »

     

    Le zombie, c'est la désintégration de l'être-là, il est au monde sans y être. Il peut survivre, mais le fait d'être en vie n'est pas ce qui le caractérise. Il vit comme malgré lui, il ne cesse de se décomposer. Il représente un double involutif de l'homme en bonne santé. Il aspire lui aussi à perdurer, proliférer, goûter, consommer, assouvir ses sens, mais il le fait sans volonté consciente, poussé mécaniquement par sa pulsion de mort qui ne s'éteint jamais. Il avance en aveugle, de façon asymétrique, ne connaît que la prédation et l'inertie, son essence semble relever d'une putréfaction qui ne s'accomplirait jamais jusqu'à son terme, bloquée dans son processus dissolvant par cette soif de recommencement organique permanent. Là où tout pousse au contrôle du corps, à son perfectionnement programmatique, lui se démantèle et se fragmente sans cesse.

    « -Tous ces gens qu'on ne pouvait pas blairer, Kaufman en avait fait nos ennemis. »
    « -Il faut à tout prix qu'on mette la main sur l'éclaireur de la mort. »


    Le complexe pour milliardaires Fielder's Green que gère un inévitable archétype de capitaliste cynique (Kaufman, alias Denis Hooper) verra ses clôtures électrifiées finir par rompre devant l'afflux de nouveaux-venus, nul n'en doute dès les premiers plans.

    Il trône devant les fleuves aux ponts condamnés, gardés par des filles ornées de fusils automatiques. Dans les zones délabrées de la ville où les humains s'amusent encore, les zombies prisonniers servent de divertissement, sont exposés en créatures de foire, d'arènes, de cibles d'entraînement, on peut les torturer, les éliminer sans questionnement quelconque. Pourtant, les zombies peuvent se découvrir eux-même, venir à la conscience de leur déchéance. L'équipe de mercenaires employée par Kaufman est chargée d'en exécuter le maximum au quotidien. Elle est notamment composée d'un mexicain revanchard, (Cholo alias John Leguizamo) qui veut sa part du gâteau financier, d'un rescapé d'incendie défiguré (Charlie, Robert Joy), d'une prostituée vindicative (Slack, Asia Argento), et d'un blond normatif au profil de sauveteur des mers (Riley, Simon Baker).
    Dans un monde où les morts reviennent à la vie, le mot ennui perd beaucoup de sa signification.
    Mais ces marcheurs purulents avides de chairs humaines sont-ils des cadavres ambulants ?
    Nul ne le sait, il faut juste tenir le peuple à l'écart de ses déambulations, via jeux et vices. Faire ce qu'il y a à faire pour ne pas les voir. Ils semblent apeurés et hagards plus qu'haineux. Leur surgissement avide les rend pourtant dangereux.

    « -Charlie, pourquoi tu mouilles ton canon ? »
    « -Pour attraper la lumière. »

    « -J'avais un petit frère qui s'est fait mordre, il a fallu moins d'une heure pour qu'il se transforme. »
    « -Et qu'est-ce qui s'est passé ? »
    « -Je l'ai abattu. »

    Cholo voudra se retourner contre le grand patron, quitte à ouvrir la brèche du complexe aux zombies s'il n'obtient pas la réparation qu'il estime lui revenir de plein droit. La ville s'entredévore. Kaufman se décide à partir, oui mais où ?
    Là où il veut. Il a juste à faire ce qu'il a à faire, tirer sur ses collègues. Car tous les autres peuvent être remplacés. Tout ce qui n'est pas lui. Il s'écriera à la vue des zombies approchant son complexe, "mais ils n'ont pas le droit !"
    Et pourtant ils le prendront, ravageant tout sur leur passage, et dévorant les mets et les corps repus.
    Finalement, une histoire d'ingestion, de déglutition, de corps béants à rassasier. Les fleurs célestes n'ont plus d'effet sur les zombies.

    -« Mais il y a plein de gens ! »
    - « Tous ces gens sont morts. Tire Charlie. »

    Oui, il ne resterait plus qu'à tirer quand on ne comprendrait rien de cet autre qui vient, sans conscience, sans ce fameux « vouloir-vivre ensemble », déchu de tout statut ontologique, se projetant silencieusement ou en grognant sur l'autre, autre qui ne serait plus que proie. Sorte de rien, de nullité déformée, le zombie assumerait pour nous le fond archaïque de contingence absurde, de clôture morbide qui enserre nos inconscients, sa déchéance organique portée en étendard d'un néant non pacifique.


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  • New York, avril 2000. Bloqué dans sa limousine blanche par un embouteillage géant qui paralyse Manhattan, Eric Packer, vingt-huit ans, le golden boy qui aspire à briser l'adn du yen ou du dollar afin d'y lire le sens et l'ordre de l'univers, assiste, en compagnie de sa garde rapprochée dont les membres se succèdent dans cette voiture de rêve, au crépuscule du système qui a porté sa compagnie au firmament de la galaxie Wall Street.

    Les yeux rivés sur le cours d'une monnaie dont il a parié la chute et qui remonte contre toute attente, tétanisé par l'irruption dans son monde virtuel d'un réel ensauvagé, qui embrase les rues de New York, Packer s'initiera en creux à son élimination contenue dans ce délitement généralisé.

     

    Toutes les tentatives anti-métaphysiques demeurent métaphysiques.

    A commencer par le triomphe de l'argent sur le politique. Alors que la classe politique française dévoile une énième fois son affairisme fondamental, le film de Cronenberg adapté du chef-d'oeuvre de Don DeLillo portant le même titre, nous renvoie directement à la crise financière que traverse le monde contemporain, un renvoi derrière des vitres fumées que la ténacité du réel pourrait finir par briser.

     

    Cosmopolis ouvre un monde et le configure. Son être-là est indéfiniment défenestré, dupliqué, différé, déphasé. Et pourtant, il ne peut pas ne pas être au monde. Il n'y a de présence aux choses et au monde qu'en tant que nous y séjournons. Le cinéma de Cronenberg ne constitue pas les choses comme objets mais introduit l'homme dans le là de ces choses qui semblent frappées de déréalisation, d'Existenz à Cosmopolis. Son expansion ne contient pas l'homme mais le lieu en lequel cet étant qu'est l'homme est ouvert à la révélation du sens de l'être. Il ne s'agit plus de questionner la nature morale de l'homme mais de ce qui est présent sur cet écran là. De ce qui advient, factuellement. Comme malgré soi. Le jeu des possibles interdépendants, amoraux et glacés.

    La présence des images n'est pas éclaircie par leur environnement mais est en-soi un fragment d'éclaircie du monde, sa luminosité existentiale. Le présent du spectateur prend source dans l'appel que se lancent l'un à l'autre provenance et avenir.

    Cosmopolis fait partie de ces films qui accueille le monde tel qu'il va, y compris dans sa nullité qui n'est pas privation, mais ce qui constitue en négatif l'annulation des spectateurs tenus comme nuls et jetés au coeur du monde ritualisé, réinventé, jetés nus et comme tels.

    La disponibilité historiale qui se déploie sur l'écran de l'ordinateur, de la tablette, du cinéma, est avant tout modalité d'un souci et circonspection angoissée. Dans Cosmopolis, tout est jeté à même le chaos et l'absurdité d'une facticité informe et sans cesse redéfinie au gré des pulsions de chaque protagoniste et de chaque configuration économico-politique. Chaque projet existentiel jeté au monde voit sa provenance et sa destination potentiellement refusées.

    Le sujet pensant qu'est Packer ne peut se constituer qu'en se transcendant dans un dessein de liberté en tant qu'il ouvre un monde.

    Jeu de miroirs babélien. La dette et le ressentiment des rues se traduit par l'abomination d'une nouvelle valeur d'échange, le rat,signifiant de la nullité existentiale du monde en tant qu'il est à lui-même son propre fondement à la croisée de l'être-jeté,déprimé, cynique et suicidaire et du projet d'expansion permanente,rutilant, unilatéral, déterminé, avide et infatué.

     

    « -La volonté implacable. Parce que je n'arrête pas d'entendre parler de notre légende. Nous sommes tous jeunes et intelligents et nous n'avons pas été élevés par les loups. Mais le phénomène de la réputation est une affaire délicate. L'ascension sur un mot et la chute sur une syllabe. Je sais que je ne m'adresse pas à la bonne personne. »

    -Quoi ?

    -Où était la voiture cette nuit, après les tests ?

    -Je l'ignore.

    -Où vont toutes ces limos la nuit ? » »

     

    Le film est irrigué par les songeries et réflexions philosophiques de ce trader assombri ainsi que de son entourage elliptique.

     

    « -La vie est trop contemporaine. »

    « -L'extension logique des affaires c'est le meurtre »

    « -Vous êtes destabilisé parce que vous avez le sentiment de ne pas avoir de rôle, de ne pas avoir de place. Mais il faut vous demander à qui en revient la faute. Parce qu'en fait il y a très peu à détester dans cette société, pour vous. »

    « -Votre crime n'a pas de conscience. Vous n'y avez pas été conduit par une force sociale oppressive. Comme je déteste être raisonnable. Vous n'êtes pas contre les riches. Tout le monde est à dix secondes de devenir riche. Ou c'est ce que tout le monde croyait. Non. Votre crime est dans votre tête. »

    La scène finale qui déploie la rencontre d'un déclassé nommé Benno et de Packer, confrontera le désespoir d'un être relégué à la honte et l'inaptitude économique au discours rutilant de cynisme assumé du golden boy pourtant insoutenablement aspiré dans sa propre vacuité.


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