•  Fausses attestations pâles

    Dans la complicité des extensions avides
    De mauvaiseté en duplicités grises
    Jonchées d'haltères imaginaires
    Fausse déclaration crachante
    Elle ressemble à Marie Christine Van Kempen
    Chorale et poisons compris
    Pour les branches estivales
    Descendantes des SCI fiscalement évaporées
    Dreamers de l'article 441-1 du code pénal
    Répartition des rôles faussement offusqués
     3 ans d'emprisonnement et 45OOO euros d'amende 
    Le maximum qu'ils disent
    Interdiction des droits civiques, hic, han
    Blêmes civils,  et de famille, brrr, d'exercer une fonction publique, splash, à sec oui, ou une activité de nature professionnelle ou sociale, du genre vaseline en interdiction de séjour. La carte de crédit s'épuise elle aussi, tous chamboulés pour l'été. Un ravalement, pas celui prévu.
    Mais puisqu'on vous dit qu'il fait pipi
    Et par la fenêtre avec ça !
    Apologie de crimes, entre deux hurlements, si si.
    Pendant que nous refaisons votre génome
    Et arnaquons la Justice
    Il crache sur nos portes
    Oué.


    votre commentaire
  •  

    « Les clones biologiques futurs sont peut-être le miroir de ce que nous sommes déjà devenus. »1

     

     

    Un processus de dénaturalisation générale pourrait caractériser parfaitement la civilisation qui s’ouvre devant nous. Reniant tout « en soi », toute essence, toute typologie identitaire, reléguant aux objets trouvés toute norme fixiste, l’ère du grand « n’importe quoi », « n’importe où », « n’importe qui », s’empare de chaque destin.

    Derrière tout comportement dit déviant, certains y verraient un gène. Derrière tout état d’être. De l’alcoolisme à la violence, de la résistance à l’évitement, de la sociabilité à l’intelligence, de la beauté à la folie. D’où les idées et applications de plus en plus menaçantes de traçabilité, de séquençages, et in fine, de dépistage…

    http://sante.lefigaro.fr/actualite/2010/05/19/10227-genetique-transforme-lapproche-psychiatrie

    http://www.biofutur.com/La-genetique-s-invite-en-psychiatrie

    http://www.lemonde.fr/sciences/article/2013/02/28/des-anomalies-genetiques-communes-dans-cinq-troubles-mentaux_1840048_1650684.html

    Dépister pour retirer, sélectionner, et assurer la bonne conformation aux nouvelles normes nécessairement humanistes déterminées dans des bureaux d’idéologies opaques. L’idéologie génétiste considérant le plus souvent le symptôme comme la cause et préférant s’y attaquer sur le plan le plus absolument direct qui soit, à savoir moléculaire, reléguant ainsi aux greniers passéistes toute approche holistique appréhendant l’humain dans ses divers contextes de développement. 

    Le mois de février 1997 a engendré son onze septembre ontologique via la naissance de la brebis Dolly. Si la plasticité du cerveau humain est comme infinie, sa soif d’amélioration l’est tout autant, et la flexibilité libérale du capitalisme repose sur ce socle d’acceptabilité sans cesse ouvert et avide de nouveautés abolissant toutes les limites fixées au premier abord par la nature.  Le diabète est déjà traité via les manipulations génétiques, en restaurant la production d’insuline sans apport externe, la science génomique propose dans son déploiement technique potentiellement illimité de reconfigurer à peu près tout le vivant. L’idée de nature humaine est purement attaquée par cette possibilité. Car si tout ce qui la caractérise est transplantable, déportable et réimplantable, alors que restera t-il de la notion d’identité humaine ? Toute la mythologie des comics américains déroulant ses mutants dotés de supra-pouvoirs s’est développée sur cette puissance fécondante de la plasticité cosmique. La science génomique rendant tout donné factuel façonnable, l’interdépendance entre les différents règnes animaux, végétaux, minéraux, ouvre une omnipotence technicienne aux scientifiques dès lors qu’ils sont en mesure de jouer avec la biosphère. La bioéconomie qui naît de ces possibles est déjà à l’oeuvre dans  l’agriculture avec les OGM et la biologie synthétique s’est immiscée dans de nombreux  processus industriels. L’industrie pharmaceutique est une force d’appoint dans cette nouvelle ère que nous pouvons nommer généticienne.

    L’approche néolibérale envisage tout corps comme une force de rendement, un ensemble de potentialités parcellaires dont la productivité doit être améliorée, comme tout le reste du champ vivant.

    Les  gènes et autres cellules ne font donc pas exception à cette éthique là. Du sang de cordon ombilical au sang menstruel, des banques privées proposent leur conservation en vue d'une utilisation ultérieure.  Marché de vente d’ovules et de sperme, stockage d’échantillons d’ADN, de sang et de lignées cellulaires. L’industrie biomédicale grossit de ses achats.

     

    La perfectibilité humaine ne connaissant pas de frontières, c’est à moyen terme la mort elle-même qui sera envisagée comme l’horizon de transgression ultime. Toute finitude bue, l’esclavagisme marchand poursuit sa colonisation du réel sans rencontrer le moindre frein sérieux dans le champ politique, à la remorque qu’est ce dernier de toutes les puissances financières.

    Quant aux citoyens, à la fois sidérés et mis en appétit devant cette offre scientiste kaléidoscopique, ils sont pris en étau entre leurs enracinements anthropologiques et leur « devoir être », cette flèche du désir qui aspire en intentions, expire en mutations, faisant muter sans cesse le présent à l’aune du possible et de ses contradictions.

    Que le génome humain ne dépasse pas les 40 000 gènes, étant ainsi proche de la souris ou d’une mouche devrait pourtant inviter à la prudence quand à la capacité de circonscrire l’humain par cette seule approche. Seule l’intentionnalité proprement philosophique voire spirituelle peut déterminer jusqu’où peut aller le champ d’exploration, de mutation et d’exploitation du génome. A force de mettre entre parenthèses les conditions non strictement liées aux phénotypes et génotypes, c’est tout l’avenir humain qui se trouve ainsi enserré dans une conception mécaniste de son évolution. La causalité environnementale a son mot à dire. Analyser une anémie ou un mode sexuel n’est pas du même ordre. Ne devrait pas l’être à priori.

    Les dernières avancées des chercheurs se concentrent notamment autour des  cellules souches pluripotentes humaines, qui jusqu’à présent étaient issues de souches embryonnaire faisant fi du risque d’incompatibilité immunologique entre donneurs et receveurs.

    Cette soif de régénération ouvrant l’espoir d’un homme mécano susceptible d’être refondé de A à Z selon ses carences ou désirs ne connaît pas d’assouvissement final puisque elle tire son essence dans le refus même de toute finitude.

    Shinya Yamanaka et son équipe ont élaboré une approche différente 2006 afin de transformer une cellule  différenciée en cellule souche en réactivant l'expression des gènes associés à la pluripotence. Via des agents viraux, ces chercheurs ont introduit dans des fibroblastes de souris adultes quatre facteurs de transcription présents chez les cellules souches embryonnaires, à savoir Oct3/4, Sox2, KLF4, et c-Myc. 

     

    Naissait alors la pluripotence induite. Le but : accroître à l’infini des cellules souches embryonnaires offrant un auto-renouvellement illimité.

    Tout cela ne se passe pas qu’aux USA, mais très près de chez vous, c’est ce que nous verrons dans un prochain article, les ramifications entre laboratoires européens et américains créant une interdépendance factuelle dans ce champ de recherche qui transgresse allègrement la législation française sur le clonage comme  l'article 16-4 du Code civil français qui proscrit tout clonage, à but eugénique, reproductif ou thérapeutique  et précise :

    « Nul ne peut porter atteinte à l'intégrité de l'espèce humaine.

    • Toute pratique eugénique tendant à l'organisation de la sélection des personnes est interdite.

    • Est interdite toute intervention ayant pour but de faire naître un enfant génétiquement identique à une autre personne vivante ou décédée.

    • Sans préjudice des recherches tendant à la prévention et au traitement des maladies génétiques, aucune transformation ne peut être apportée aux caractères génétiques dans le but de modifier la descendance de la personne. »

    — Article 16-4 du Code civil

     

     

    Ces pratiques sont punissables de peine allant de trente ans à la réclusion criminelle à perpétuité.

     

    1Mark Hunyadi, Je est un clone, l’éthique à l’épreuve des biotechnologies, Seuil Editions, 2004.  

    Pour une critique de la raison bioéthique, Lucien Sève, 1994, Odile Jacob.


    votre commentaire
  • La revue américaine Cell Stem Cell, a décrit les expériences menées en Californie par une équipe de chercheurs, dont le Dr Robert Lanza, responsable scientifique d'Advanced Cell Technology. Elle ont été en partie financées par le gouvernement sud-coréen. Elles ont utilisé la technique développée par le Dr Shoukhrat Mitalipov, le premier à créer en 2013 des cellules souches embryonnaires humaines à partir de cellules de peau, en recourant au clonage. Mais dans ce cas, la procédure avait été effectuée avec de l'ADN provenant d'un nouveau-né de huit mois. Ils sont eux parvenus à cloner des cellules adultes pour créer des cellules souches embryonnaires. Ce processus paraissait plus difficile qu'avec des cellules de jeunes enfants ou de foetus. Les cellules souches embryonnaires sont dites pluripotentes, car ce sont les seules cellules capables de se différencier en tous types de cellules de l'organisme (cardiaques, hépatiques, pulmonaires...), qui en compte 200, et de se multiplier sans limites.

     

     

    « Je pense que nous devons nous tenir le plus possible à l’écart des règlements et des lois »

    James Dewey Watson (co-découvreur de la structure de l’ADN, ancien directeur du Human Genome Project).

    « Enfin, qui ou qu’est-ce qui décide du caractère sacré ? L’évolution est parfois très cruelle !

    Nous ne pouvons pas prétendre avoir un génome parfait et lui attribuer un caractère sacré ! Le mot « sacré » me fait penser aux droits des animaux. Qui a donné des droits aux chiens ? Le mot « droit » est très dangereux. »

    Courrier international, N°529-530 (21 décembre 2000-3 janvier 2001), p.48-49.

    Contestant l’inviolabilité du génome, visant l’amélioration perpétuelle du genre humain, via les thérapies géniques, Watson représente bien une certaine arrogance scientifique à capturer le corps humain pour mieux le démanteler, au nom de son imperfection première. La manipulation des cellules germinales ou reproductrices devient alors possible, la manipulation de toute transmission générationnelle avec. 

    « Il faudra que certains aient le courage d’intervenir sur la lignée germinale sans être sûrs du résultat. De plus, et personne n’ose le dire, si nous pouvions créer des êtres humains meilleurs grâce à l’addition de gènes (provenant de plantes ou d’animaux), pourquoi s’en priver ? Quel est le problème ? ».

    Un eugénisme qui ne dit pas son nom est ici, implicitement déclaré. Le méliorisme du meilleur des mondes s’affirme au grand jour.

    « Si vous pouviez trouver le gène qui détermine la sexualité, et si une femme décide qu’elle ne désire pas un enfant homosexuel, eh, bien, laissez-la choisir ! »

    Entretien accordé dans le Sunday Telegraph, le 16 février 1997, reproduit in Helga Kushe et Peter Singer, Bioethics. An anthology , Oxford, Blackwell, 1999, P.171.

     

    Auto-légitimation d’un projet faustien, dissociation assumée entre éthique et recherche, affirmation absolue de la demande industrielle et capitaliste, couplée aux désirs individualistes de toute-puissance. Irresponsabilité positiviste, considérant que seule l’absence ou la présence de danger technique autorise ou interdit une nouvelle « avancée » vers le clonage généralisé.

    Arrogance monopolistique d’un rationalisme qui se voudrait omniscient. Face à cette toute-puissance en action, non pas un, mais des éthiques, certaines ouvertes à ces avancées, d’autres sceptiques, inquiètes, voire purement hostiles.

    Débats ardents s’ébattant au-dessus d’un volcan en éruption, celui de la compétition internationale pour les éléments du vivant brevetables et leurs philanthropiques puissances subventionnantes. 

    Derrière ces recherches fondamentales, l’idée récurrente : les comportements humains, leurs pathologies, leurs forces et faiblesses, sont, peu ou prou, tous prédéterminés par les phénotypes. Le déterminisme biologisant est donc le terreau philosophique originaire de ces bio-technologies. « L’éthique génétiste » est l’ombre portée de l’individualisme consumériste.

    Car qui ne veut pas lutter contre cancers, sida, hépatites, diabètes, malformations, maladies orphelines, et autres pathologies invalidantes ? Comme le principe des poupées russes, le dessein prométhéen d’une réécriture totale du genre humain via son génome s’avance à l’horizon et s’y déploie déjà, sous des yeux citoyens indifférents.Pour permettre de telles mutations, il faut d’abord de la matière première, et donc un marché. Et c’est le cas. Tout s’achète, tout se vend. Cellules souches, ovules, sang, chaque partie de la carlingue humaine se vend. Comme l’explique fort clairement Céline Lafontaine dans son ouvrage Le corps-marché (Le Seuil Editions), l’industrie de la fécondation in vitro (FIV), a pu organiser des banques de sperme, des banques d’ovules et a su mettre en route la pure et simple commercialisation du corps reproducteur, via les mères porteuses. Ouvrant la voie à la recherche sur les cellules souches embryonnaires, avec au final la perspective fort « alléchante » de recyclage des embryons au profit de la dite recherche.

    Où l’on découvre une biocitoyenneté couplée à l’ère du bioéconomique, instituant une nouvelle sphère politique, un nouveau statut pour l’hominidé. Biocitoyen néolibéral, cela va sans dire, ouvert à la molécularisation de son être au monde, se définissant avant tout biologiquement et non spirituellement, acceptant la génétisation des analyses sociologiques, s’ouvrant à la recherche « génépsychiatrique », à l’affût de tout ce qui est à sectionner, élimer, redéfinir dans son arbre atomique afin de complaire aux normes, aux standards de l’être parfait tel que défini par…qui déjà ? Il faut repasser par Nietzsche, qui en son temps, avait étudié de nombreux biologistes, naturalistes de tous horizons, nourrissant significativement son corpus intellectuel, pour prendre la pleine mesure des racines anciennes en Europe de cette soif de déconstruction d’un biologisme agressif. À commencer par Friedrich Albert Lange et son Histoire du matérialisme paru en 1866. Il présentait le sujet humain comme un corps-organisme avant d’être une somme de savoir et d’entendement pur au sens kantien. Son criticisme virulent rejetait les catégories transcendantales pour surligner les déterminismes psychophysiques. Il appliquait la grille de lecture darwinienne à l’organisme humain même, déduisant une biologisation intégrale de la subjectivité, que Nietzsche complètera par un empirisme de son cru. Il finira par en déduire sa conception des vérités comme simples substrats organiques, produits d’expériences sensibles arbitraires. Il établira par la suite, tout au fil de son œuvre, une véritable incarnation corporelle de la sphère métaphysique sans pour autant plonger dans un pur biologisme primitif. Le vitalisme de Nietzsche a été nourri de ces lectures originelles, il présenta d’ailleurs un sujet de thèse ayant pour objet la notion d’organisme chez Kant. La physiologie, les sciences naturelles et la médecine allaient compter pour lui tout autant que les présocratiques ou Schopenhauer. Son approche de la subjectivité non pas comme système intellectualisant mais pluralité vivante et organique se verra renforcée par l’étude de Rudolf Virchow et son ouvrage la Pathologie cellulaire (1858), qui remettait déjà en cause le mythe d’une unité du moi, et d’un centralisme organique hypothétique, ouvrant la voie à l’idée de pluralité d’entités cellulaires menant leurs propres visées au sein d’une subordination biologique à l’ensemble de l’organisme. Le monde cellulaire est rapproché d’un État républicain, à la fois unique et pluriel, un « Nous » complétant l’habituel « Je ». Wilhelm Roux l’embryologiste et Claude Bernard lui permettront d’affiner ses notions d’assimilation, d’excitation, d’irritation et d’appropriation. La multiplicité des forces en présence étant interprétée par la volonté engendrant alors la production des perspectives, qu’il finira par intégrer à son projet de volonté de puissance. Il soutiendra ce plan avec certaines idées proches d’un eugénisme social et biologisant, quelques soient les argumentaires égalisateurs de penseurs humanistes ayant tenté ces dernières années de l’expurger de ces tendances très répandues en son temps. L’on pourra situer une des contradictions de sa pensée dans l’articulation entre une défense de la souffrance comme condition même de l’expansion du vivant et un projet visant à l’élimination des expressions morbides (la souffrance du vivant s’étant dressée finalement devant lui à Turin, comme une forteresse imprenable et rédhibitoire). Il développera via ces nombreuses études son approche singulière de la volonté vivante conçue comme effet retard, pointe aiguisée d’une constitution aveugle et intelligente à la fois, au service des appétits qui la sous-tendent, blessée par les carences qui l’accompagnent et la hantent, entité qui interprète dans un perspectivisme subjectif les séries de possibles dont elle est le fruit. Depuis, l’occident n’a cessé de refuser la souffrance et les tares du vivant, pour viser un être ultime, un nouvel homme total, pour ne pas dire totalitaire, et ce que les régimes dictatoriaux du 20ème siècle ont partiellement échoué à réaliser, les blouses blanches, discrètes et savantes, fourmillant avec détermination et souvent imprudence, dans nos laboratoires contemporains, sont en train de le dessiner, jour après jour.

     

    Stuart J. Edelstein, Des gènes aux génomes. Odile Jacob, 2002. 

    Monique Canto-Sperber, l’Inquiétude morale et la Vie humaine, PUF, 2002.

    Céline Lafontaine, Le corps-marché, Le Seuil Editions, 2014.


    votre commentaire
  • NIETZSCHE, LA DÉRAISON DU VIVANT

    Thomas Roussot
    PHILOSOPHIE EUROPE 

    Cet essai évoque l'influence des lieux de villégiature de Nietzsche sur son oeuvre, soulignant ses divers sauts, tant sur le plan géographique qu'intellectuel, affectif et relationnel, traçant un itinéraire de vie et de pensée autour de quelques grands thèmes, la jeunesse, l'amour, la solitude, la déraison, les périples, la transgression ou l'autonomie. L'interaction entre le vécu sensible et la formation d'idées novatrices a marqué de façon significative tout le parcours existentiel de ce philosophe...


    votre commentaire
  • L’influence décisive de la guerre sur la pensée de Wittgenstein.

    Beaucoup de spécialistes de Ludwig Wittgenstein (1889-1951) s’accordent sur l’irruption d’un plan spirituel dans son parcours intellectuel, mais peu s’attardent avec précision sur son apparition précise. Nous prétendons, avec Allan Janik, qui a abordé ce contexte historique lors de son exposé du vendredi 16 mai 2014 au Lycée Henry IV, que cette pensée si singulière a muté sous le joug de la guerre de 14-18, et plus précisément lors de son engagement dans la bataille de Broussilov, prenant alors une tournure de nature spirituelle et ce de façon irréversible. « J’ai subi les supplices de l’enfer. Et l’image de la vie m’était si séduisante que je voulais vivre à nouveau. »1 1. Ludwig Wittgenstein, Carnets secrets 1914-1916, trad. Jean-Pierre Cometti, Chemin de ronde, 2008. C’est suite à son implication sur le front russe où il s’est porté volontaire pour des missions de première ligne en tant qu’artilleur, visant à éprouver l’intégrité de son existence même, que ses premières saillies mystiques font irruption dans ses carnets. Deux de ses frères se sont suicidés à la veille de la guerre, un troisième les suivra dans cette issue mortifère au sortir du conflit. Quant à Ludwig lui-même, il fera longuement part à ses amis de Cambridge de la même tentation. C’est paradoxalement la guerre qui va lui redonner le goût de vivre. En 1916, le 24 juillet, il déclare : « On nous tire dessus. Et à chaque coup de feu mon cœur se serre. J’aimerais tant vivre encore ! » De début septembre à début décembre 1914 : il est artilleur sur le Goplana, un navire patrouilleur, et il lit l'évangile de Tolstoï. De décembre 1914 à Février 1915 il est détaché au service d’artillerie de sa garnison. De début février 1915 à la mi- mars 1916 : il utilise ses connaissances d’ingénieur en mécanique au sein de son atelier de garnison. De mars 1916 au début 1918, il est officier de reconnaissance dans l’artillerie, bravant à de nombreuses reprises la mort. Il obtient la médaille de bronze pour sa bravoure, une médaille d'argent pour son titre de première classe. En mars 1918, jusqu'à la capitulation de Habsbourg à la fin du mois d'octobre il continue de faire preuve d’une bravoure sans failles. Il est d’ailleurs nominé pour la médaille d'or mais sa candidature est rejetée en raison de la défaite finale. Tous ces honneurs militaires ne l’empêchent pas de produire à une vitesse phénoménale son oeuvre maîtresse : le Tractatus logico-philosophicus2. 2. L. Wittgenstein : Tractatus logico-philosophicus, trad. Pierre Klossowski, Gallimard, 1961. « Que sais-je de Dieu et de l’objet de la vie ?
Je sais que le monde existe.
Que je m’y trouve comme mon œil en son champ visuel. Que quelque chose en lui est problématique, que nous appelons son sens. Que ce sens ne réside pas en lui, mais en dehors de lui. Que ma vie est le monde.
Que ma volonté pénètre le monde.
Que ma volonté est bonne ou mauvaise. Par conséquent le bon et le mauvais sont de quelque façon connectés avec le sens du monde. Le sens de la vie, c’est-à-dire le sens du monde, nous pouvons l’appeler Dieu
et en connexion avec ceci assimiler Dieu à un Père.
Prier, c’est penser au sens de la vie. Je ne peux pas plier à ma volonté les événements du monde :
je suis totalement sans pouvoir.
Je peux seulement me rendre indépendant du monde – et ainsi en un certain sens le dominer – en renonçant à toute influence sur ses événements. »3 3. L. Wittgenstein : Carnets 1914-1916, trad. Gilles- Gaston Granger, Gallimard, 1971. Ce texte date du 11 juin 1916, et à lui seul, révèle le souci proprement religieux de Wittgenstein. Durant le printemps de 1916, alors que Wittgenstein risque quotidiennement sa vie, nombreuses sont ses allusions au Pater et l’on retrouve au coeur de ses carnets des fragments à caractère proprement mystique comme : « Que ta volonté soit faite ! » ; « J’ai sombré très profondément dans le péché, mais Dieu me pardonnera » ; « J’espère traverser l’épreuve, ne me quitte pas ! » ; « Puisse Dieu me libérer!» Le sens de la vie, c’est- à-dire le sens du monde, nous pouvons l’appeler Dieu. » Par cette affirmation, Wittgenstein ouvre une perspective de retournement dialectique révolutionnaire pour son cercle d’influence positiviste puisqu’il place délibérément la connaissance humaine et son champ d’exploration absolu hors du monde. Wittgenstein synthétise dans ce texte poétique ouvrant notre article la notion de prière et de compréhension du monde, qui toujours échappe à une préhension purement logique. Acceptant de façon fataliste l’incapacité du volitif sur le cours du monde, le philosophe aspire comme Pascal à se libérer de l’emprise mondaine. Penser au sens de la vie sera son ascèse quotidienne. Il s’écartera alors nettement des logiciens positivistes de Cambridge en apposant à son oeuvre cette dimension transcendantale ouverte aux apories qui se multiplieront au fil des ans dans ses travaux. Le texte à caractère poétique de Wittgenstein cité ici en préambule prend la tournure d’une prière et d’une incantation aspirant à une forme de parousie. Ce texte d’essence eschatologique tranche avec le ton habituellement neutre de ses précédents fragments. Lors de ce printemps de 1916, il « pense à Dieu », demande « Que Dieu soit avec moi. » Et affirme que : « seule la mort donne à la vie sa signification. » Car si « Il y a de l’indicible. Celui-ci se montre. C’est cela le mystique. » Wittgenstein note dans le Tractatus4 : « On reconnaît la solution du problème de la vie dans le fait que ce problème s’évanouit.
(N’est-ce pas la raison pour laquelle les hommes pour qui le sens de la vie devient clair après des doutes prolongés ne peuvent dire en quoi consiste ce sens ?) » Wittgenstein bouclera cette intuition en la redoublant sur un mode affirmatif, quelques temps après s’être réfugié en Norvège. Le 12 décembre 1937, il note depuis un bateau 5 : « D’abord il faut être sauvé: puis tout sera différent et ce ne sera « pas étonnant » si vous pouvez faire des choses que vous ne pouvez pas faire maintenant. Comme croire en la résurrection. » 4. TLP 6.521 (trad. de Pierre Hadot). 5. Journal, 12 décembre 1937. « Et la foi, c’est la foi en ce dont mon cœur, mon âme a besoin, et non mon intelligence spéculative. Car c’est mon âme avec ses pas- sions, en quelque sorte avec sa chair et son sang, qui doit être sauvée, non pas mon esprit abstrait. Peut-être peut-on dire: seul l’amour peut croire en la résurrection. Ou bien : c’est l’amour qui croit en la résurrection. On pourrait dire: l’amour rédempteur croit même en la résurrection; il adhère même à la résurrection. »6 6. Journal, 12 décembre 1937. Les forces de Habsbourg perdirent 50 % de leurs effectifs durant le mois de février 1915. Wittgenstein fut attaché à un officier observateur pendant ses premiers engagements, ( Sanvo, Krynicznyi ) et affecté comme point d'appui de cavalerie. Méprisant le feu de l'artillerie lourde sur sa casemate, observant stoïquement les explosions d’obus de mortier, Wittgenstein fut régulièrement juché sur son point d'observation de la batterie 417, où il refusait de se mettre à couvert, bravant les tirs en permanence. Non à la manière d’une tête brûlée exaltée mais bien plutôt avec la froideur impersonnelle du logicien qu’il était. Son calme olympien apaisait ​​d’ailleurs ses camarades. Courage, calme, sang-froid, héroïsme, tout dans son attitude provoquait l'admiration de sa troupe. Il faisait son devoir en soldat philosophe, échappant par ce choix transgressif à la contagion suicidaire qui imbibait son clan familial. Après l’assaut initial de Broussilov, dès le 12 du mois de juin, 3500 seulement des 16 000 hommes de la formation de Wittgenstein ont survécu. «La manière dont tout a lieu, c’est Dieu. Dieu est la manière dont tout a lieu. C’est seulement de la conscience de l’unicité de ma vie que naissent la religion-la science-et l’art. »7 7. Carnets 1914-1916, trad. G.G.Granger, Gallimard. Sa soeur Hermine affirme dans les mémoires de la famille (Familienerinnerungen) que son frère ne s’est pas engagé uniquement pour des motifs patriotiques : « Comme je le connais bien, il n’était pas seulement soucieux de défendre son pays; » ajoutant “il avait un désir intense de prendre quelque chose de difficile et d’exigeant, et de faire autre chose que le travail purement intellectuel.” Le 7 Août, malgré une double hernie, il a été affecté à un régiment d'artillerie. Le 9 Août, il a commencé la rédaction du premier volume du manuscrit Logisch-philosophische Abhandlung, MS 101, publié dans Notebooks, 1914-1916. Quelques jours plus tard, il se retrouve à l'avant du navire de patrouille Goplana sur la Vistule. Le 30 Octobre, il a commencé un deuxième manuscrit, qu’il a travaillé jusqu'au 22/06/1915 : MS 102, publié dans Notebooks, 1914-1916. Au cours du mois de décembre, il a été transféré à l’atelier d'artillerie à Cracovie. Lors de la première année de la guerre, son frère Paul a été grièvement blessé, perdant son bras droit, et a été fait prisonnier par les Russes. La navire "Goplana" sur la Vistule Après avoir été blessé dans une explosion frappant son atelier, et après un court séjour à l'hôpital de Cracovie, Wittgenstein a été transféré à la fin de juillet au sein d’un atelier d'artillerie à bord d'un train à proximité de Lwow. Au début du printemps, Wittgenstein a été transféré à sa demande dans un régiment d'obusiers sur le front galicien. Là, il a commencé un troisième manuscrit, sur lequel il a travaillé jusqu'en 10/01/1917 : MS 103, publié dans Notebooks, 1914-1916, Oxford 1961. Il a été décoré à plusieurs reprises et a été promu caporal le 1er Septembre. Il a ensuite été ordonné à l'école pour officiers d'artillerie d’Olmütz. Le 26 Janvier 1917, il est retourné à son ancien régiment de la Bucovine, où il a été engagé dans l’offensive de Kerensky et a été décoré à plusieurs reprises. Après la trêve avec la Russie le 28 Novembre, il a passé son congé à Vienne. Carte d'identité militaire de Wittgenstein Wittgenstein a été promu officier de réserve (lieutenant) le 1er Février 1918. Au printemps, il a été transféré sur le front sud près de Asiago et temporairement affecté à un régiment d'artillerie de montagne. Il a passé sa dernière permission en juillet et août à Vienne et dans la maison de son oncle Paul Wittgenstein à Hallein, près de Salzbourg, où il a complété le travail final de Logisch-Philosphische Abhandlung, Manuscrit 104, publié par Routledge, Prototractatus and Kegan Paul, à Londres en 1971 et les tapuscrits du Tractatus logico-philosophicus TSS 202, 203 et 204 plus tard publiés comme Tractatus logico-philosophicus, Kegan Paul, Londres, en 1922. Fin septembre, Wittgenstein était de nouveau à l'avant. Encerclé par les Italiens, il a construit son mortier en utilisant une méthode qui remonte à l’Antiquité, du bronze autour d'un tronc d'arbre et en fondant le métal dans un tube de canon. Le 3 novembre, il a finalement été fait prisonnier par les Italiens près de Trento, ainsi que l'ensemble des forces autrichiennes dans la région. Il s’est retrouvé dans un camp près de Côme. Le 4 juin 1916, sur le front est de la Première Guerre mondiale, les forces russes conduites par le général Alexeï Broussilov, commandant en chef du front sud-ouest, lancent une grande offensive contre les armées allemandes et austro-hongroises en Pologne et en Autriche-Hongrie. Cette offensive, initialement prévue le 15 juin, est avancée pour soulager l'Italie de la pression austro-hongroise, le haut commandement italien ayant demandé l'intervention des Russes. L'attaque russe, qui prendra le nom d'offensive Broussilov, était prévue pour coïncider avec l'assaut britannique dans la Somme, sur le front occidental. 4 juin Broussilov prévoit d'avancer sur un large front de 300 km. Ses IIIe et VIIIe armées ont pour ordre d'attaquer la IVe armée austro-hongroise par le sud des marais du Pripet. Plus au sud, la VIIe armée russe est dirigée contre la VIIe armée austro-hongroise. L'opération débute par un bombardement de près de 2 000 pièces d'artillerie russes, la première avancée des Russes est excellente, particulièrement dans le nord et le sud où les Austro-Hongrois s'effondrent presque. Elle n'est freinée qu'au centre, où les Russes affrontent les unités allemandes. La bataille se poursuit jusqu'en septembre. 10 juillet Les autorités russes annoncent qu'elles ont fait prisonniers quelque 300 000 soldats allemands et austro-hongrois depuis l'ouverture de l'offensive Broussilov. 12 août Le général Alexeï Broussilov présente les détails de la poursuite de son offensive. Il affirme avoir fait 375 000 prisonniers allemands et austro-hongrois et s'être emparé de 400 pièces d'artillerie, 1 300 canons et avoir gagné 38 000 km2 de territoire. Les pertes russes s'élèvent à 550 000 hommes. La plupart de ces soldats étaient très fidèles au tsar Nicolas II, mais ceux qui les remplacent se montrent moins enclins à le soutenir. 10 octobre Le tsar Nicolas II ordonne que soit mis un terme définitif à l'offensive victorieuse du général Alexeï Broussilov. Cependant les combats continuent jusqu'à la mi-octobre. Ludwig Wittgenstein avait reçu une formation d'ingénieur et s'était spécialisé en aéronautique à l'université de Manchester. C'est au moment où il effectuait des recherches pour la construction d'un turboréacteur que son intérêt pour les mathématiques et la logique s’est affirmé. Loin d’un Jünger trouvant dans le conflit guerrier la sensation de communauté de destin avec ses camarades de classe, il éprouve durement la «stupidité», l'«insolence» et la «méchanceté sans limites» de ses frères d’arme, jugeant «qu’il n'est donc pas vrai que les grandes causes communes ennoblissent nécessairement l’homme». Il constate la disparition de la «sensualité», la masturbation, l’impossibilité de se confier, la pure désespérance, mais aussi la présence de Dieu : «mon âme se rétrécit. Dieu m'illumine! Dieu m’illumine!». Son écriture lui permettra de résister à cette épreuve et s’en trouvera même stimulée comme jamais. « La volonté est une prise de position à l’égard du monde ». 8 8. Carnets 1914-1916, trad. G.G.Granger, Gallimard.

    Sources : WITTGENSTEIN, L. (1961), Tractatus logico-philosophicus, suivi de Investigations philosophiques, Paris, Gallimard. WITTGENSTEIN, L. (1965), Le cahier bleu et le cahier brun, Paris, Gallimard. Ludwig Wittgenstein, Carnets secrets 1914-1916, trad. Jean-Pierre Cometti, Chemin de ronde, 2008. Wittgenstein : Tractatus logico-philosophicus, trad. Pierre Klossowski, Gallimard, 1961. Rauchensteiner , Der Erste Weltkrieg und das Endettement der Habsburger - L'offensive Broussilov. Timothy c . Dowling, Indiana University Press, 2008. Wittgenstein , Vienne et la modernité, Allan Janik, Stephen Edelston Toulmin, Presses Universitaires de France, 1978. Wittgenstein et la déconstruction, Laurent Carraz, Antipodes. Carnets 1914-1916, trad. G.G.Granger, Gallimard. Les Carnets de Cambridge et de Skjolden, trad.J.-P. Cometti, PUF 1999.

     

    Navire torpilleur Goplana

     

                                                                                                                                   Statut militaire de Wittgenstein.


    votre commentaire