• Ce trop qui ne s'arrêtait pas.

      Ce trop qui ne s'arrêtait pas.

    Tu avais noté qu'en période d'incertitude émotionnelle, de fragmentation narcissique, c'était toujours des avortons blêmes, aux regards perçants et fixes, luisants de haine recuite, de vies inassouvies, socialement très bien installés, qui venaient te glisser en passant des paroles perversement malveillantes chargées de te mener au désespoir, jamais les fameuses racailles qui avaient peur de ta folie et la respectait. Un groupe de rastafaris t'avait proposé de participer à leur rituel, en fumant des pétards et invoquant Shiva, pieds nus, psalmodiant pour que la pluie disparaisse, mais le vent avait redoublé, ils avaient fini par dire, en anglais, dans cet enclos d'origine africaine du Bois de Vincennes que c'était ta faute, que tu avais l'âme noire et criminelle, qu'elle parasitait leur tentative d'éclaircissement, de fait, leurs drapeaux tombaient à terre sous la pluie, les ridiculisant, ils n'avaient que haine dans la bouche à l'égard des blancs. En Forêt de Fontainebleau, là, des juifs orthodoxes, près de ce wagon abandonné aux touristes, t'avaient menacé de prévenir la Police, car tu fumais trop près de leurs familles, et la Forêt semblait à eux, dans leurs esprits, la même volonté d'expansion et de domination, la même pourriture dans les voix et les regards. Tous ces mouvements messianiques n'étaient que les paravents néo-spiritualistes de kystes ethno-politiques. La police devait porter nos aliénations à même les iris.C'est l'absence d'espace vital qui induisait la paranoïa.

     

    Il marmonnait d'une voix de Droopy sous Prozac comment gagner à la loterie européenne, t'avais du sang plein le T-Shirt, les coups pleuvaient au cinquième, l'idée du Paradis s'enfuyait derrière la palissade. Ta patrie c'était l'angoisse. Ce monde n'apparaissait dans son étirement temporel que dans la tête de mammifères pourvus de cerveaux reptiliens. Liquéfiés par la nitroglycérine du temps. Recrudescence des passing-shots. Inconditionnellement posté contre l'absence, le regard armé. Zoo sans grilles. Pollen d'innocence sur les grandes lèvres. Membres plumitifs et cultivés par la langueur dépressive d'un simulacre débandé. Des résolutions rationnelles, une cohérence du propos, flairant le fumier dont nous habitions la demeure, matant Djokovic allumeur d'intersections, et les phasmes en manifestations. Tu te souviens, l'escalier tournoyant? Tout ça débouchait sur des fenêtres avec une gare abandonnée en contrebas, les peluches dans le jardin ? La verrière et le soleil se réverbérant dessus. L'humus dans les narines. Le DANSEUR à L'AISE DANS SON CORPS ? UN MEC QUI TAPE DANS UNE BALLE ? AVEC RIEN DANS LA TÊTE? UN OISEAU FUSILLé AU-DESSUS DE LOZèRE ?

     

    Rien de tout ça, juste la clairière du saisissement, des frères d'ombres, des trahisons, la poussière dans le sang, et Rome. Succo à vol d'oiseau, le casse des hirondelles, un romancier roumain chauffeur de bus, la mort des bourgeons. Le froid écarlate. Tous ces miroirs dans les rues, réfléchissant nos riens. Le légionnaire en face d'eux mettait de la merde dans leur boîte aux lettres, poussait leur voiture la nuit sur une place réservée aux handicapés, glissait des revues de cul devant le portail verdâtre, tirait sur leurs chats, parce qu'il ne pouvait plus baiser depuis l'Algérie, se réveillait en sueur chaque nuit en appelant maman. J'ai rêvé d'être descendu seul ou tout comme, à San Michele, une vieille femme a la peau plissée comme un parchemin romain m’accompagnait, son regard entérinait le temps, pluie, froid et vent, seul dans l’île des morts battue par le ressac des ambulances maritimes.

     

    Puis un gars montrait ses moignons, à genoux sous la pluie, avec une assiette blanche à fleurs pour la monnaie, eux lorgnaient les vitrines Prada, elle voyait la peur gouverner toutes les villes, dans le rire et les désinfectants. Tu veux qu'on dise à quel point c'est beau et puissant ce que tu fais, et quand on le dit, tu réalises que ça s'enfonce un peu plus profondément en toi, cette sensation de corruption. Toutes les ruelles sont réservées aux piétons, la signalisation est quasi albanaise, la gauche casse du nègre. La joie est une langue étrangère. Les internes présentent la porte du réfectoire à victuailles, invitant d'un geste stéréotypé les internés (un accent aigu faisait toute la différence) à y pénétrer lentement, et les grappes d'affamés y pénètrent d'un pas de sanatorium, mâchant consciencieusement leurs salives solidifiées par des mélanges moléculaires improbables, je songe aux particules grises de Ray Bradbury et désire les voir atterrir dans leurs assiettes de misère. Carreaux cassés par trop de taciturne, un quart d'heure faisait un siècle, les pigeons se comptaient en parlant seul, t'avais le regard oblique, la peur s'étalait comme du ripolin sur les murs, "tais-toi l'arménien arrête de me parler, de me regarder", télé brisée, vomi sur le sol ciré et vert, vous parliez des heures des forces de l'ombre, il t'offrait un Coran, c'était mieux que l'Afghanistan. Gares de triage des exilés, l’inhabitable deviendra la règle, dans le domaine de la réalité les crédits seront tous coupés, tu as jeté la galette par la fenêtre mais elle est encore mangeable, elle ne contenait pas de roi, concorde sous pluie, le gamin a réalisé qu’un accident intégral c’est marcher le sourire aux lèvres vers des regards pleins de lueurs mauvaises. Quand les vitrines t'accusent de faits mensongers, tu t'arranges pour les mériter. Un inconnu s'était approché de moi, à la recherche d'une audience indifférente à son ivrognerie apparente, me chuchotant en un crachin de Fel, "tu finiras seul, avec des morts et de la poussière sur tes livres", puis il cracha à mes pieds. Il se trompait juste en optant pour le mode futur.

     

    Tu avais 7 ans et tu en savais trop sur l'armée japonaise pendant la seconde GM, c'était anormal, pourquoi tu ne dessinais que ce fameux zéro, des flammes, du sang, alors que tu vivais dans un jardin avec des pensées et des lilas ? La concierge en savait trop, sur tes petites habitudes, "et comment que les gens tombaient par la fenêtre", elle disait que tu jouais avec les rats, mais personne ne la croyait, à ton grand soulagement.L'arrivée des couverts a installé à distance toute nourriture, éloignant les saveurs primales de nos gosiers et doigts dépossédés de leur contact premier. Tout ce que tu veux, c'est un vagin rempli, des bourses vidées, une porte qui ferme, un frigo qui se renouvelle, et des voyages pour oublier ton inanité. Tout ce que tu auras, c'est des tremblements au bout de tes doigts et une vision reverdie qui s'enfuit à jamais. Le monde souverain est celui qui supprime toute finitude et s'attribue toutes les lois. La torture nous apprend les confins de l'infini. Bénie soit-elle. Tu crois que ça constitue une identité respectable que tu sois une suceuse professionnelle, un addict de la défloration anale, un obsessionnel de la famille nombreuse, une lectrice de Libération ? Vomissures. Tu te raccroches à des cadavres pour fonder ton illégitimité. Tu es de gauche, tu veux aider ton prochain, il va te couper la tête et la poser sur le journal du dauphiné libéré. Tu es de droite, tu es déjà dead. Je me souviens, elle était venue à notre table de hasard, tu portais des lunettes noires vers Minuit, elle pensait être l'otage d'une conspiration généralisée, échevelée, apeurée, tremblante, agitée comme une poupée par un enfant hystérique, une filière de traite des blanches qu'elle disait, elle ne pouvait être concernée, tout était dans sa tête, des milliers de voix s'entrechoquaient en elle, moi j'ai bu une bière, et je lui ai dit, oui, ils ont le double de vos clefs, oui, ils contrôlent tout, et alors, quelle importance ? Je n'y croyais pas mais c'était pour désamorcer son élan d'effroi, elle est repartie plus effrayée qu'elle n'était arrivée. Tu as fini ta limonade, nous sommes repartis vers le silence. J'aurais du faire autrement, mais alors, elle m'aurait contaminé. L'Ethique avait ses limites. Les miennes. Les femmes à poussettes qui se poussent pas sur d'étroits trottoirs méritent la descente d'organes. Je t'ai demandé de chier un nouveau Gremlins ? Non ? Alors pousse ton cul, je passe. Papa Noël, JE VEUX L'EQUATION SYNTHETIQUE ENTRE ANTIHISTAMINIQUE ET CODEINE ASSURANT UNE DESINTEGRATION PROGRESSIVE ET EXTATIQUE DU CORTEX. ON ENTRETIENT DES RITUELS QUI NE FONT TOURNER QUE LES MACHINES ENREGISTREUSES J'ai cessé de croire au père en question quand un mois de décembre 1981, j'ai constaté l'absence de cheminée dans l'appartement, je l'ai attendu toute la nuit avec un fusil et ce dégonflé n'est pas descendu, je voulais juste braquer sa hotte. Tu courrais comme un chien affolé par la perte de son maître, qui se jette sous le premier bus venu, avec les yeux écarquillés par ta fuite, accompagné par le regard de petites vieilles protestantes au sortir de leur Messe, qui chuchotaient sur ton passage de comète aliénée "on devrait tous les piquer ces drogués!", avec une sorte de lueur joyeusement cruelle accrochée à leurs visages crispés par la haine. La joggeuse a reçu dix coups de pierre qui ont traversé sa carotide, la piste de danse s'est faite rôtisserie. Ton pull vert et ta peluche me manquent.

    Thomas Roussot

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  • Commentaires

    1
    Mardi 17 Septembre 2013 à 07:54
    eske ?
    Thomas,eske je peux proposer ce texte pour le prochain numéro de "COHUES",revue numérique ?
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