• Tumeur dans les deux décades à venir.

    Le chien-loup du quartier aux basques, la Mairesse parcourait sa commune endimanchée à pas feutrés, un demi-sourire aux commissures. Je l'observais se profiler entre les ruelles silencieuses, spectrale, avec ses contorsions impatientes pour convaincre les cafetiers réticents de retirer les ultimes espaces fumeurs non équipés des filtres C, entre gloussements et bâillements des piliers aux joues écarlates. Le matin moite se glissait sous les portes pour se finir au fond de halls parfaitement insonorisés. Une Tzigane à la jupe fatiguée l'évitait avenue de l'Est, changeant ostensiblement de trottoir. Durant une seconde, l'édile prit un air ombragé, puis affecta l'indifférence.

    La refonte des écoles élémentaires prenait une bonne tournure, il y aurait pour la rentrée de nouveaux espaces dévolus aux inévitables bureaux administratifs d'enfouissement du réel avec badges et portes coulissantes intégrés. L'ensommeillement des administrés était accompli, façon Kétamine indolore infiltrée via bulletins municipaux mirifiques sur papier glacé et coloré. Le moutonnement des consciences formait une sorte de touffeur invisible, derrière les volets repeints et les jardinets fleuris artificiellement, chaque concitoyen pouvait s'estimer à sa juste valeur après avoir chassé ce sentiment persistant d'agenouillement déshonorant devant le rasement des bâtiments scolaires qui portaient malgré eux une charge affective de nature mémorielle. Et cette valeur s'approchait de celle des phasmes. Adaptée, discrète, fragile et proche de l'inexistence.

     

    Seule la rue piétonnière conservait un semblant d'habitat incarné, avec des effluves de nourriture simple, d'artisans dégarnis et de mendiants agressifs. L'embrasement social ne se réduisait pourtant qu'à quelques barbecues conviviaux, autorisés par la Fête des Voisins. Des grappes de gamins mal élevés stoppaient par intermittence l'atmosphère de liquéfaction généralisée qui dominait le centre-ville en jetant du haut de balcons flétris des bouts de bidoche et autres jets d'eau usagée. Une forme d'ellipse géographique s'y dessinait, ombreuse et bruyante, autour du 14 Juillet essentiellement. Peu d'encravatés mais quelques déchirures volontaires aux fessiers, façon province scotchée 8O. Pendus aux cabines téléphoniques, des travailleurs au noir rendaient compte à divers parrains restés au bled de leurs revenus illégaux. Deux ou trois filles aux postures à peine équivoques, porteuses de chaînettes en toc aux chevilles,  aguichaient les passants s'inventant des œillères dignes de Longchamp. Vettel remportait toujours un énième Grand Prix sur les écrans plats du vendeur de kebab dont la provenance demeurait indéterminée pour le péquin qui carburait aux 7 euros biquotidiens. Son employé ruisselait devant la rôtisseuse et je songeais à chaque fois que j'y pénétrais, systématiquement mais stérilement, que la prévoyance intestinale aurait consisté à ne commander qu'une salade au maïs. Un client sur deux trébuchait sur une estrade dont personne n'avait jamais compris l'utilité de l'avoir placée devant cette entrée de chiottes ornée d'un tag 94 et du message suivant : « Sabrina salope, va crever ».

    Deux numéros plus loin trônait un salon de massage faussement chinois dépourvu de proxénète que personne ne fréquentait hormis des touristes qui se laissaient parallèlement égarer par le charme d' une quincaillerie proposant des soldes sans fin pour des objets improbables tels que statuette hindoue à lampe intégrée, teintée rose cochon, ou autres crèmes de blanchissement facial assurant une tumeur dans les deux décades à venir.

    « La bourse ou la mortParce que nous étions amoureux de toute folie. »

  • Commentaires

    1
    Lundi 26 Septembre 2011 à 17:36
    Crédits photo
    Lynn SK.
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