• Je me manque
    Au tournant des amnésies
    Quand Je me lance
    Que Tu te pares
    Qu'il se gausse
      Nous faisant averses
     Vous déversant vos moi
     Elles acérant l'état
    De nos conditions en alluvions
    A même le sol du peut-être
    Me donnant la tourmente
    Du « je me manque »


    Descendre l'automne
    Vers les contrées de guignol
    Dans un brouhaha de bal masqué
    Descendre dans la buée des chemins
    Vers l'effroi stellaire des épines dorsales
    Dans un rire de kermesse
    Juste porté par les trombes du familier
    Ebranlé par un violent cahot
    De chasse quantique aux aurores

    S'éprendre d'un Je printanier
    En instance d'absolu


    L'absolu reflue
    Mutant en un déluge
    De vieilleries ciselées
    Assurant la jubilation
    De nos égarements
    Le tumulte planté au front
    Et l'humeur brève
    Collée au coeur
    Tourne les talons
    Aux gelées précoces
    Le baluchon dénoué
    Fuis les palais d'injustice
    Tout le magma grégaire
    Où le rance s'attarde peu à peu
    Fait déborder tes cieux
    Avec une franchise de bord de mer
    A portée de nuit
    Les yeux tendance primevère
    Les veines gorgées de vie
    T'offrant à tout ce qui t'est échu


    De l'illisible
    La promiscuité de l'illisible
    Dans le rebut anonyme des embruns pâles
    Se jette et déploie l'immersion lente
    A l'angle d'un rêve béat
    Ma soeur atlantique
    Se voulant fille des tempêtes
    De fait blottie informée
    Par les hachures de l'angoisse


    Fille de nostalgie
    En rade sur les quais du périssable
    Fille d'un soir nu
    Vive rougeur
    Aux fêlures bues
    Je consomme ton gisement
    Et me fais doublure de tes chutes


    Est-ce vous là ?
    Près du creux
    Où s'apprennent les cicatrices
    Est-ce vous sur cette bordure de crépuscule
    Dansant avec des pas d'ange piégé
    Est-ce vous
    Coiffé d'un air fantôme
    Une rivière déchue à l'épaule
    Est-ce vous?

    Sous les branches de l'introuvable
    Des farandoles désinvoltes
    S'allient aux herbes neuves
    D'une nature faisandée
    Et nous
    Livrés aux aguets
    Ciselés par l'attente
    Nous suspectons l'hiver
    De transiger avec le rien

    Ruelles initiales
    Où gravitent les ombres
    De nos passés gravats
    Faisant frémir
    Les petits jours murmures
    Pris au collet
    Par une foule ahurie
    Prendre congé du fumier
    Et se confier aux ornières
    Enrôlés captifs
    D'un jeu oblitéré
    Qu'animent des combats poussière
    En direct
    Du très fameux
    Désastre inanimé

    Quand tout s'achèvera
    Balisant l'hécatombe
    Des pressentiments satinés
    Quand tout succombera
    Sous le poids du défiguré
    Enfin se dessineront
    Des talismans à téter
    Sous l'altitude injustifiée

    Nomades sur Vénus
    Ils décapitent
    La dialectique
    Pendant qu'en zigzag
    Défile la fière Maya

    Le silence oppose son retrait
    Procurant tous les pardons
    Fédérant des messes placides
    Investissant l'en deçà
    Pliant bagages et tirant rideaux
    Plus qu'à se taire
    A l'Est Gisant

    Se libérant légère
    L'aube paresse à la crête des soirs enfuis
    Baisant les jointures noires de retraites pluvieuses
    L'aube caresse  les grappes d'envies
    Couturées à plein ciel

    Vitre baissée sur le ravalé
    Bataillant à l'écart du tout
    Volage sans adresse
    Je dis qu'à petit feu
    Le danger se colle à mes pas
    Et le traquenard vient
    S'offrir souterrain
    Au revers de mon émoi
    Annotant l'oublieuse mélancolie
    Une rumeur fardée
    Remonte le long de la nuit frémissante
    Sur des chardons étincelants
    S'écoule en flaques d'obsessions étoilées
    Enfin
    A contre-voie pose des masques
    De contre vie


    Le tumulte à plein visage
    Va Consteller le tranquille compact
    De convulsions joyeuses
    Comme des galops
     Fichés dans l'obscur

    Etoffe atone
    Au tournant muet
    Tout se défait en rigoles de joie
    Qui s'élancent vers des précipices de rétines
    Pour cieux cloutés de manques
    Surplombant des vouloirs hérissés

    Songeant à sonder
    Les traces de sourires
    Dans l'entredeux

    A quoi rime
    Que l'on poursuive
    Les partis pris
    En vers opaques
    Sans doute à provoquer
    Des prémices de sauvagerie

    Au gué
    La matière geint
    Son infrastructure nerveuse
    Enseveli l'en soi
    Tout larynx ouvert
    Formant alors une déploration ailée
    Dont se réjouissent
    Les lourds paquets d'affection au chômage

    Enamouré du boueux
    Je m'en vais glaner des sorts
    D'une allure brève
    Et d'une humeur de broussaille
    Le coeur borné d'incendies
    Perclus dans la besace d'un temps hirondelle
    Je m'en vais glaner des sorts
    Des pensées qui affleurent sous les courants contraires
    La rapide genèse de nos existences se poursuit là où vont les ombres silhouettes
    Tantôt striée de lumières
    Tantôt robe funèbre
    Se faisant sillage de choses
    Vêtue de lourds présages
    La rapide genèse bientôt close
    De nous fera des anomalies

    On se fait l'âme bouffie
    Sur les vitrines à joujoux
    Les ombres glissent tard
    Devant l'avenir feu follet
    Qui méthodique
    Enflamme la matière des nuits fériées
    A coeur vide
    Prendre la rage au galop
    Saoul submergé d'essences infectées
    A corps muselé
     les éboulements  se profilent
    Prenant un air de chaos qui fait allégeance aux saccades ruisselantes
    D'une magie sanctifiée parce qu'inutile
    Avec aux pourtours de la vision
     De claires vaguelettes
    Pour écouler
    Cette drôle de vacuité
    qui ouvre la vanne aux poisons spasmes
    D'où jaillissent alors le grand fracas
    Et ses champs primitifs de disciplines célestes
    Aux myriades d'abreuvoirs alimentés par l'inondation
    De l'impossible ressac

    C'est ça:
    Désespérément de ce monde
    Mais à quelle braise
    Se réchauffer l'âme exsangue

    Vers quels jardins
    Se retourner les sens

    A qui,  à quoi marchander des prétextes qui tiennent
    L'entrebâillement du rien

    Un chemin de traverse manque
    De franches descentes font défaut

    Alors plus qu'à hoqueter les miettes d'enfance
    Coincées au fond du gosier

    Il n'y a plus
    Qu'à commenter le profil des chuchotis
    Car la notice de tout est délavée
    Et la cérémonie des nerfs vifs
    Bat son rappel d'abandon
    Entre moi et soi
    La serre au faux s'est refermée
    Aucune réplique à opposer
    Aux redites sérielles
    Les jours lilas ne sont plus vraiment là
    Et toute façon d'avancer
    Sent le caduque
    Quand la nuit
    A laissé sur la nuque
    Le poids d'une impasse
    Le déploiement des plis rêvés se brouille

    Quand l'entropie à 13h32
    A éteint tous les feux
    Il n'y à plus qu'à tirer les draps
    La veilleuse des idées mise sur off

    Le familier  en crue

    Malfaçons à la ronde
    Répliquez que vous fûtes ceci ou cela
    L'absurde a déjà tout coagulé
    Dans l'estuaire de vos restes  d'impasses en pagaille
    Ebouriffés par le temps
    Nous stationnons criblés d'ennui
    Sur la place dévêtue des rires enfuis
    Avec l'amertume légère
    Et les iris au vent
    Attendant que la nuit couve
    Du vivant pas trop effiloché


    Ci-jointes
    2, 3 ruminations balnéaires
    Une halte coupe-vent
    Un glacis d'eaux mortes
    Et quelques gifles tièdes
    De renoncements hivernaux.


    Au pourtour propice
    Capter les flâneries comme des grâces
    En s'étendant à l'horizon
    Pour fumer des réserves de pourquoi
    Laissant s'ouvrir béate
    L'enveloppe ou s'est déposé
    Ce quelque chose faisant identité



    Guetté
    Par les précipices d'Octobre
    Comme une pousse fébrile
    Tu vaques aux alentours
    D'heures allongées
    Par les plaies du ressouvenir

    Dans les glacières du rien
    On accumule, on s'entraîne
    Toujours on se perd
    Debout couché
    Enflé cruel
    Avec sa semence perdue
    Au creux de l'insituable

    A rebrousse temps
    Hérissé d'on ne sait quoi
    Le corps imbroglio
    En quête panique
    D'appuis certains
    Germe outre-tombe
    Dans l'humus métamorphosé
    D'une vie inconstante
    La chair remue encore
    Au son de rêveries cadenassées
    Par des ballets ancestraux
    Nous faisant fossiles de nous-mêmes.
    -----------------------------------------------


    Saignée à vide
    La présence des voisins
    Eclaboussait les allées du soir
    D'un ton ocre et morne
    Aux alentours, s'écoulait un plan d'eau vive
    Aux mille sources charriant le même contraint
    Sous les branches du parc cousin
    L'indifférence se diffusait mollement
    Emmêlée aux racines du regard comme un assemblage minéral
    Buvant les voisins à l'envers


    A l'endroit inhabité où les vies s'annulent



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  •  Heidegger, la pensée interdite ?

    Emmanuel Faye en bon épurateur moderne, affirme dans son ouvrage fort riche toutefois en révélations, "Heidegger, L'introduction du nazisme dans la philosophie", (ed. Le livre de poche 2007)  qu'il faudrait cesser de l'enseigner, en tout cas en tant que simple philosophe, mais qu'il doit changer de rayonnage et passer de la philosophie à l'histoire du nazisme. Philosopher sur le nazisme de Heidegger est légitime, vouloir réduire tout son apport philosophique à son engagement nazi est une approche partiale et orientée.
    Suite à la traduction de cours encore inédits en France ( 20 volumes liés à ces cours plus 7 volumes de notes) liés à la période 33/44, Faye affirme que toute la pensée de ce philosophe au fondement d'une réévaluation de la métaphysique occidentale si singulière et pour l'heure inégalée ne serait qu'une entreprise raciste. Hannah Arendt, Hans Jonas, Herbert Marcuse, Leo Strauss, Rudolf Bultmann, Medard Boss et toute l'École de Daseinsanalyse, Henry Corbin, Jean-Paul Sartre, Jean Beaufret, Maurice Merleau-Ponty, Emmanuel Levinas, Jacques Lacan, Michel Foucault, Jacques Derrida, Paul Ricœur, mais aussi Panikkar en Inde, les dissidents tchèques groupés autour de Jan Patočka ( dont le président Havel), l'École de Kyoto au Japon, ou encore des poètes et artistes tels que Paul Celan, René Char, Georges Braque, Simon Hantaï, et d'autres individus irréprochables de lucidité seraient donc tous au choix des idiots ou des complices d'une idéologie criminelle et Mr Faye le grand procureur démocrate qui ouvrirait les yeux ébahis des pauvres lecteurs que nous sommes. Caractériser une pensée est une tâche fort ardue quand cette pensée est si riche et complexe que celle de Heidegger. Il est indéniable que celui-ci a travaillé sous le régime nazi en tant que recteur d'université (comme Sartre faisait jouer ses pièces sous l'occupation). Il est avéré qu'il a fait plus qu'accompagner le cours des choses mais a éprouvé une fascination pour ce processus historique qu'il prenait pour une révolution offrant un horizon métaphysique authentique. Nourri comme ses contemporains de romantisme et de nationalisme, le bon martin a formulé des propos clairement compromis à l'égard de  ce régime.
    Faye précise les raisons de son indignation :
    " Et, là,  j ai apporté trois ou quatre volumes. Dans cette Gesamtausgabe, nous avons les cours que Heidegger a professés de 33 à 45. Cela fait 20 volumes. Et ces cours, sous des titres d'apparences philosophiques, comme par exemple La question fondamentale de la philosophie  ou bien De l'essence de la vérité  ou bien Logique,  ce sont des cours qui tout à fait ouvertement, explicitement, font l'apologie de la Weltanschauung du Führer, de la vision du monde du Führer, comme transformation radicale pour l'homme.  Ce sont des cours qui exaltent la communauté völkisch du peuple allemand sous la Führung hitlérienne. Et voilà donc que Heidegger, après sa mort, a fait le plan d'une oeuvre telle que tout cet enseignement se trouve aujourd'hui présenté comme philosophique. Et là, je ne suis pas d'accord. C'est là où j'ai un point d'arrêt. Je dis que, pour moi, ces cours ne sont ni dans leur fondement, ni dans leur expression, philosophiques. Si on les inscrit dans le patrimoine de la philosophie du 20e siècle, c'est extrêmement dangereux. On en voit vraiment des effets parce que des auteurs comme Nolte ou Tilitski en Allemagne ou d'autres en France comme Beaufret et quelques autres, des auteurs qui, justement, reprennent cette oeuvre sans aucune distance critique, arrivent à des positions d'un révisionnisme radical."

    Sans le mondre repentir ou amendement, Heidegger a été nazi, sa pensée n'a offert aucune résistane à ce courant et a même parfois épousé ses contours et fourni des armes théoriques pour celui-ci. Pour autant, sa philosophie ne peut aucunement être réduite au nazisme.
     Sa critique de la technique, du capitalisme, de l'obscurcissement du monde, de la.décadence spirituelle, de la rupture avec la nature, l'opérabilité de l'être réduit à une marchandise absolument totale, la technique dépossèdant l'homme via une métaphysique de la subjectivité perçue comme racine de la modernité déshumanisante, toutes ces problématiques sont plus que jamais d'actualité et sa pensée demeure utile et vitale pour en comprendre les tenants et aboutissants.   Il faut donc lire et relire Etre et Temps, des Chemins qui ne mènent nulle part, Acheminement vers la parole,  Essais et conférences,  la Lettre sur l'humanisme, des “Questions“,  Qu'est-ce qu'une chose et tout le reste de son oeuvre qui ne doit aucunement changer de rayonnage.

    "Mais là où il y a danger, là aussi Croît ce qui sauve" écrivait Hölderlin. La pensée de Heidegger est dangereuse comme l'était celle de Nietzsche qu'il a en quelque sorte prolongée. Mais ce danger, justement, il le pensait :

     « Le mal n'est pas ce qui n'est que moralement mauvais, surtout pas un défaut et manquement au sein de l'étant -, mais c'est l'Être lui-même comme dégondement et méchanceté. »...

    « Mais le danger s'annonce-t-il déjà par là comme le Danger ? Non, Périls et urgences pressent de toutes parts plus que de mesure les humains à toute heure. Mais le Danger : l'Etre se mettant lui-même en péril dans la vérité de son être, y demeure voilé et dissimulé. Cette dissimulation est ce qui du danger y est le plus dangereux. »

    Le ton parfois apocalyptique ("invasion du démoniaque") qui orne la pensée de Heidegger est selon moi de type gnostique,  sa théologie d'un  être inital, source de tout sens, subissant une altération qui affecte le monde qui en est le résulat, à savoir règne de l'aliénation. L'homme est perçu comme participant de l'être et de l'étant,  le néant néantise, l'être est le néant, sa source demeurant voilée et  emportée dans le flux temporel, ce fameux "être là", pendant que  l'homme doit aspirer à la résolution de la différence ontologique (entre l'être et l'étant), qui ne passe pas par la conscience mais par "l'écoute éclairée", sous peine de tomber dans l'inauthenticité. Ce qui meurt authentiquement est au contact de l'être, le reste périt. Seul meurt  ce  qui affronte l'être, les autres disparaissent. L'occasion d'échapper à la fatilité de la modernité (usa-russie de l'époque) passe par l'historialité de l'être, par la  possession du peuple, par l'eros du peuple pour le soumettre à une organisation authentique. Toutes ces propositions ne sont pas de l'ordre du rationalisme occidental mais bien d'une gnose singulière.

    « La mise à l'écart dont je suis l'objet n'a au fond rien à voir avec le nazisme. On subodore dans la manière dont je pense quelque chose de gênant, sinon même d'inquiétant ; qu'en même temps on y prête tant d'attention n'en est qu'une preuve de plus."
    Martin Heidegger, Mis à 1'écart (1946)
    (Traduction inédite de François Fédier)


     Cette oeuvre philosophique est vitale car elle pose une inquiétude essentielle sur le sens de l'être,  sur celui de nos possibilités techniques et des mutations qui vont caractériser l'avenir de "l'humain".


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  • John Cowper Powys

    L'oeuvre de Powys est une sorte d'écheveau subtil de connexions, de vibrations énergétiques qui s'animent et font de tous les êtres, lieux et objets des forces convulsives pourvues d'âmes. Oeuvre éminemment paienne, et pour s'en convaincre il faut lire Les Enchantements de Glastonbury qui fait pénétrer le cosmos par le plus fabuleux des belvédères. Saturation ahurissante de magies qui gravitent autour d'individus écorchés, tourmentés par leurs pulsions contradictoires. Pervers et romantiques dans un même élan, ces personnages Powysiens sont à eux seuls des mythes ambulants, déambulants dans des contrées violentes et ouvertes béantes sur l'inconnu. C'est le Graal qui s'offre dans ces pages, aux yeux du lecteur réduit à un grain de sable, un insecte archaïque. Dans les sables de la mer, l'angoisse et la torture se mélangent au sublime, une description minutieuse et mystique de la nature, des malades mentaux enfermés, des animaux vivisectionnés côtoient des étreintes tendres et fugaces. "Comment quelqu'un peut-il jouir de quelque chose en ce monde (...) tant qu'une abomination comme la vivisection existe?" demande Magnus Muir. Pour extirper la vérité certains taillent dans la cervelle des animaux. Une réalité qui peut rendre fou celui qui s'y attarde. Powys semble indiquer que seule l'affirmation d'un amour mystique pour toute la nature peut  s'opposer à la toute puissance du rationnel scientifique. Une éthique profondément panthéiste imprègne tous ses romans, entre compassion quasi christique pour tout ce qui vit et souffre et sadisme métaphysique (celui de ceux qui veulent savoir en violant la nature, et en s'imposant par effraction au mystère de l'existence). Un conflit puissant entre le rationalisme étriqué et l'empathie pour tout ce qui existe traverse la plupart de ses récits. Culpabilité et chagrin gangrènent l'âme des protagonistes, mais aussi espoir et tendresse. La langue de Powys est d'une rare subtilité pour rendre compte des fluctuations psychologiques qui s'emparent des femmes comme des hommes face à la destinée. L'être au monde est rendu dans toute son intensité dramatique, perception sans distance, enlacement des éléments, interdépendance radicale de tout, en deçà de la "pensée". Les corps se fraient d'instinct une voie dans le monde, les sentiments, les sensations, tout est inséparable du monde, ce dernier étant lui-même projet du sujet, projection fantasmée et mythique. Dépendance entre les manifestations sensibles et l'intentionnalité des êtres. Monde préobjectif, innocence des sens voués totalement à l'être total, perception qui n'ordonne pas la nature comme objet de savoir mais est partie prenante et compatissante de celui-ci, voilà peut-être le projet spirituel de John Cowper Powys. Son Apologie des Sens chez Pauvert définit avec la plus grande clarté ses intentions de même que sa philosophie de la solitude..
    Un monde d'avant la réflexion, d'avant l'analyse désincarnée, d'avant l'écologie pragmatique, un monde qui établit toutes les  jonctions essentielles se déploie dans ses pages au souffle lyrique, une prose menant parfois à la transe. Les forces naturelles imprègnent les représentations des hommes qui leur donnent sens mais ces forces demeurent centrales puisque ce sont elles qui suscitent le sens où plutôt les sens que leur accordent les hommes. Pour faire émerger du sens les individus doivent pourtant se réfugier hors des choses, créer un écart, voire se retrouver à contre courant et deviennent alors spectateurs désengagés du spectacle divin. C'est dans la relation au monde que Powys fonde sa mythologie, une relation impliquant un échange et non pas seulement une soumission aveugle. Basculement parfois entre  la volonté de contrôle sur les forces réduites à des objets et la soumission à ces mêmes forces qui réduisent le sujet à en être l'objet. Décentrés par la négation de l'autre ou de la nature opaque, les personnages de Powys sont régulièrement menacés de désagrégation. Réservoir inépuisable de choses et de flux, le monde finit par dépasser le démiurge, le réduire à un simple reflet : "Il n'était plus Wolf Solent, il n'était plus que de la terre, de l'eau et de petits points incandescents qui scintillaient" où ailleurs toujours dans Wolf Solent: "J'ai été stupide d'essayer de faire de mon âme un cristal dur et rond ! C'est un lac..rien d'autre...,avec une nuée d'ombres flottant au-dessus comme autant de feuilles!". Retour du réel qui refuse les projections humaines trop humaines. Pourtant la finalité du héros Powysien sera inlassablement de se laisser imprégner par la beauté du monde, par delà sa cruauté de toujours. S'il ne fallait lire qu'un roman de ce génial druide romancier, je vous conseillerais  « Givre et Sang ».



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  • Certains écrivains ouvrent des brèches dans le simulacre social. Leurs oeuvres sont alors des charges explosives pouvant sauver au milieu des ruines ce qui peut encore l'être en chacun de nous. Peut-être un semblant de lucidité par exemple.

    Witold Gombrowicz est un écrivain polonais, ludique et pessimiste, provocateur et pervers. Je vous parlerai plus particulièrement de Cosmos, roman métaphysique qui joue avec l'absurde jusqu'à former un univers complet et cohérent, paradoxe ultime ! Il serait inutile de vouloir en raconter l'histoire tant l'intérêt ne réside pas en elle. Le narrateur Witold accompagné de son ami Fuchs séjournent dans une pension de famille. On pourrait dire de Cosmos que c'est l'enquête pathologique de personnages dérangés à propos d'un oiseau mort et de deux bouches. La découverte par les protagonistes d'une suite de signes (un moineau pendu, une flèche sur un plafond, un bout de bois pendu à un fil, un poulet pendu lui aussi) sont interprétés comme autant d'indices menant le questionnement pseudo policier. Séries d'hypothèses farfelues et grotesques parsèment le récit le plombant vers un naufrage morbide et drôlatique à la fois. Cosmos est une sorte d'imposture visant à révéler l'immaturité et la facticité du lecteur et du monde tout court. Le roman commence ainsi : "Je plongeai le regard dans ce fouillis de feuilles, de rameaux, de taches lumineuses, d'épaississements, d'entrebâillements, de déviations, de poussées, d'enroulements, d'écartements, de je ne sais quoi, dans cet espace tacheté qui avançait et se dérobait, s'apaisait, pressait, que sais-je ? Bousculait, entrouvrait... Perdu, couvert de sueur, je sentais à mes pieds la terre noire et nue. Là entre les branches, il y avait quelque chose qui dépassait, quelque chose d'autre, d'étrange, d'imprécis. Et mon compagnon aussi regardait cela. Un moineau. Ouais. C'était un moineau. Un moineau à l'extrémité d'un fil de fer. Pendu. Avec sa petite tête inclinée et son petit bec ouvert. Il pendait à un mince fil de fer accroché à une branche. Bizarre. Un oiseau pendu. Un moineau pendu. Cette excentricité hurlante indiquait qu'une main humaine s'était glissée dans ce taillis. Mais qui ? Qui avait pendu cet oiseau, pourquoi, quel pouvait être le motif ? ".

    Roman du rien, du creux qui se pare de toutes les pseudo significations ; c'est là tout le talent de l'auteur. Certaines situations de ce roman sont très proches de l'univers de Bunuel et de l'âge d'or (sensualité embarassée, absurdité malsaine des rapports humains). Le narrateur est obsédé par la rencontre possible de la bouche de Léna, et de celle de Catherette, attirance et répulsion formant un climat oppressant tout au long du récit. Lynch pourrait se délecter des phobies qui émaillent les perceptions des sujets : "cette bouche était comme trop fendue d'un côté, et allongée ainsi imperceptiblement, d'un millimètre, sa lèvre supérieure débordait, fuyant en avant ou glissant presque à la façon d'un reptile, et ce glissement latéral, fugitif, avait une froideur repoussante de serpent, de batracien, mais pourtant il m'échauffa, il m'enflamma sur le champ, car il était comme une obscure transition menant à son lit, à un péché glissant et humide."

    Gombrowicz ou comment la réalité la plus banale peut devenir loufoque, délirante, inquiétante, obsédante si l'on ose soulever le voile pudique du réalisme classique. Supporter la prose de Gombrowicz n'est possible que si l'on admet l'idée de la mesquinerie et de l'idiotie humaine. Pourtant son propos n'est en rien accusateur, en rien moralisateur, au contraire il se réjouit de l'immaturité généralisée proche d'une forme d'innocence pervertie. La partiallité, la petitesse, l'insignifiance de l'histoire romancée est à transposer sur l'idée que se fait l'auteur de la “ grande histoire ”. Non-événement d'un monde insignifiant qui ne prend  “ sens ” que sous le joug de la subjectivité humaine, cruelle et arbitraire.

    L'observation d'un moineau pendu constitue le coeur du récit, son trou noir, sa matière noire qui constitue la trame originelle de tout l'univers se déployant autour : ""Partons". Mais il restait là, il regardait, le moineau pendait, je restais là aussi, je regardais aussi. "Partons". "Partons". Nous ne bougions pas, cependant, peut être parce que nous étions restés trop longtemps déjà et que le moment convenable pour le départ était passé... et maintenant cela devenait plus dur, plus incommode, nous deux avec ce moineau pendu dans les buissons... et j'eus l'intuition d'une sorte de disproportion, de faute de goût ou d'inconvenance de notre part... J'avais sommeil".
    Le regard de Gombrowicz vise la déformation pour mieux accoucher d'une perception authentiquement phénoménologique des événements et des êtres qui gravitent en leur sein. A trop s'y attarder, c'est la santé mentale du lecteur et de l'auteur qui sont mises à mal. Le besoin d'ignorance s'avère le pilier de la “ norme”. L'insolite ouvre sur le monstre qui réside en chacun, le grotesque fait écho à l'infini au statut humain : "Tout à coup surgit une vache. Je m'arrêtai et nous nous regardâmes dans le blanc des yeux. Sa vachéité surprit à ce point mon humanité que je me sentis confus en tant qu'homme, en tant que membre de l'espèce humaine (...) Comment se comporter face à une vache ?... Comment se comporter face à la nature ?" La cohérence du “ réel ” est cruellement mise à terre. Gombrowicz était doué pour observer des heures durant des crochets sur les murs et d'imaginer le passé éventuel de la demeure supportant ces fameux crochets.

    Un jour qu'il se promenait à la plage, il sauva un scarabée qui s'était retrouvé sur le dos et gigotait des pattes. Il le sauva donc, le remettant sur ses pattes puis en découvrit un deuxième dans la même fâcheuse position : il le sauva aussi, se croyant sauvé par la même occasion de ce labeur étrange mais une quantité astronomique d'autres bestioles dan le même état se révéla à sa vue quelques mètres plus loin. Accablé devant une mission devenue grotesque, il partit en panique.

    Gombrowicz est aussi l'auteur de pièces de théâtre (Yvonne princesse de Bourgogne ). Son oeuvre la plus connue demeure Ferdydurke qui a été misse à l'écran par Jerzy Skolimowski.Transatlantique est un roman autobiographique sur l'exil de Gombrowicz en Argentine en 1939 lié à l'invasion de la Pologne par Hitler. Exil qui durera 23 ans. Puis Gombrowicz dérivera vers Paris, Berlin, Vence.

    La Pornographie traite notamment du rapport entre la forme et la maturité de l'adulte d'une part, et de l'adolescence malléable d'autre part, rapport de force symbolique entre celui qui veut imprimer sa forme et celui qui aspire à être formé, attraction flirtant avec le vice et la vertu tour à tour. Ambivalence où tous se perdent, l'adulte dans sa fascination de l'informe, l'adolescent quant à lui piégé par la forme que tente de lui imprimer l'adulte. L'attirance qui en découle est basée sur la perte des qualités à l'origine de la relation. L'immaturité informe semble consacrée par la modernité qui ne propose plus aucun cadre structurant, qu'il soit d'ordre politique, social ou religieux.

    Toute l'oeuvre de Gombrowicz charrie un refus fondamental du sérieux, en quête d'une sorte d'innocence impossible, à rebours de la souffrance et de la gravité adulte. Mais guette l'infantilisme tout aussi destructeur et vide. Une impression de simulacre et de fausseté imbibe tout ses récits. L'artificialité des rapports humains sautant aux yeux des protagonistes. Ses mémoires sont à découvrir pour mieux percer le mystère Gombrowicz. Son cours de philo en six heures un quart est un monument d'humour intelligent. En ces temps de simulacre politicien liberticide, la lecture de cet aristocrate déchu est salvatrice.

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  • Mardi  20 mars 2007 à Sausset-les-Pins dans les Bouches-du-Rhône, le corps d'un enfant de deux ans et demi qui avait disparu la veille a été retrouvé tôt le matin. La voix blanche du procureur de la République d'Aix-en-Provence annonce douloureusement les faits crus :
    « Le corps du petit Jordan a été retrouvé ce matin vers 09H30 dans les vagues, en bordure de plage à proximité de l'école Jules Ferry, d'où il avait disparu lundi vers 17h30."

    Jordan était  sorti de la cour de l'école pour aller en bordure de mer, attiré par la beauté du spectacle, le vent soufflait très fort et la mer s'agitait en cadence.
    Il accompagnait quelques minutes auparavant sa mère qui était venue participer à une réunion pour son frère aîné. L'école sanctuaire demeurait ouverte pour laisser pénétrer les parents conviés. Les flots n'étaient qu'à quelques mètres des salles chauffées et du conseil de classe. D'autres enfants s'amusaient dans la cour, des rires fusaient de-ci de-là. Au loin l'horizon s'offrait à la vue émerveillée, ouverte sur l'infini. L'avenir de l'enfance, innocente, aveugle au danger, jouant sur le sable, tournoyant à la merci des éléments. Des passants sans doute, au loin, imaginant la promenade familiale et l'enfant libre au devant.
    Il faisait froid et le ciel était sans nuages.  On croyait tout contrôler. Les gendarmes, la sécurité routière, l'éducation nationale, les projets pour la rentrée, les notes des uns et des autres. Tout était en ordre dans la station balnéaire prête pour le printemps à présenter son visage le plus avenant. On pouvait tout contrôler sauf la fulgurance aventureuse d'un enfant. Sauf la puissance illimitée des fonds marins. Sauf la rencontre de cette fugue enfantine et de ce ressac opaque. En un instant s'abolissait tout contrôle, tout jugement, toute prévention, toute rétention. On gloserait ensuite sur la nécessité de fermer plus drastiquement les écoles, de ne plus accepter le moindre risque, d'installer des videos surveillance et d'embaucher des agents municipaux en nombre accru. Et pourtant, le ressac continuerait de se projeter sur les digues de la station, indifférent aux mesures humaines, au ballet des lois restrictives. Et pourtant des enfants continueraient d'échapper à toute vigilance parentale. On ne pouvait pas cloner la mer pour la rendre inoffensive. On ne pouvait réguler le déferlement marin au 21ème siècle. On ne le pourrait jamais. Mais il ne fallait pas trop s'y attarder, cela ressemblait à la fatalité et au tragique. Et ça, c'était inacceptable. Car nous contrôlions tout n'est-ce pas ?

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