• Powys entre givre et sang

    John Cowper Powys

    L'oeuvre de Powys est une sorte d'écheveau subtil de connexions, de vibrations énergétiques qui s'animent et font de tous les êtres, lieux et objets des forces convulsives pourvues d'âmes. Oeuvre éminemment paienne, et pour s'en convaincre il faut lire Les Enchantements de Glastonbury qui fait pénétrer le cosmos par le plus fabuleux des belvédères. Saturation ahurissante de magies qui gravitent autour d'individus écorchés, tourmentés par leurs pulsions contradictoires. Pervers et romantiques dans un même élan, ces personnages Powysiens sont à eux seuls des mythes ambulants, déambulants dans des contrées violentes et ouvertes béantes sur l'inconnu. C'est le Graal qui s'offre dans ces pages, aux yeux du lecteur réduit à un grain de sable, un insecte archaïque. Dans les sables de la mer, l'angoisse et la torture se mélangent au sublime, une description minutieuse et mystique de la nature, des malades mentaux enfermés, des animaux vivisectionnés côtoient des étreintes tendres et fugaces. "Comment quelqu'un peut-il jouir de quelque chose en ce monde (...) tant qu'une abomination comme la vivisection existe?" demande Magnus Muir. Pour extirper la vérité certains taillent dans la cervelle des animaux. Une réalité qui peut rendre fou celui qui s'y attarde. Powys semble indiquer que seule l'affirmation d'un amour mystique pour toute la nature peut  s'opposer à la toute puissance du rationnel scientifique. Une éthique profondément panthéiste imprègne tous ses romans, entre compassion quasi christique pour tout ce qui vit et souffre et sadisme métaphysique (celui de ceux qui veulent savoir en violant la nature, et en s'imposant par effraction au mystère de l'existence). Un conflit puissant entre le rationalisme étriqué et l'empathie pour tout ce qui existe traverse la plupart de ses récits. Culpabilité et chagrin gangrènent l'âme des protagonistes, mais aussi espoir et tendresse. La langue de Powys est d'une rare subtilité pour rendre compte des fluctuations psychologiques qui s'emparent des femmes comme des hommes face à la destinée. L'être au monde est rendu dans toute son intensité dramatique, perception sans distance, enlacement des éléments, interdépendance radicale de tout, en deçà de la "pensée". Les corps se fraient d'instinct une voie dans le monde, les sentiments, les sensations, tout est inséparable du monde, ce dernier étant lui-même projet du sujet, projection fantasmée et mythique. Dépendance entre les manifestations sensibles et l'intentionnalité des êtres. Monde préobjectif, innocence des sens voués totalement à l'être total, perception qui n'ordonne pas la nature comme objet de savoir mais est partie prenante et compatissante de celui-ci, voilà peut-être le projet spirituel de John Cowper Powys. Son Apologie des Sens chez Pauvert définit avec la plus grande clarté ses intentions de même que sa philosophie de la solitude..
    Un monde d'avant la réflexion, d'avant l'analyse désincarnée, d'avant l'écologie pragmatique, un monde qui établit toutes les  jonctions essentielles se déploie dans ses pages au souffle lyrique, une prose menant parfois à la transe. Les forces naturelles imprègnent les représentations des hommes qui leur donnent sens mais ces forces demeurent centrales puisque ce sont elles qui suscitent le sens où plutôt les sens que leur accordent les hommes. Pour faire émerger du sens les individus doivent pourtant se réfugier hors des choses, créer un écart, voire se retrouver à contre courant et deviennent alors spectateurs désengagés du spectacle divin. C'est dans la relation au monde que Powys fonde sa mythologie, une relation impliquant un échange et non pas seulement une soumission aveugle. Basculement parfois entre  la volonté de contrôle sur les forces réduites à des objets et la soumission à ces mêmes forces qui réduisent le sujet à en être l'objet. Décentrés par la négation de l'autre ou de la nature opaque, les personnages de Powys sont régulièrement menacés de désagrégation. Réservoir inépuisable de choses et de flux, le monde finit par dépasser le démiurge, le réduire à un simple reflet : "Il n'était plus Wolf Solent, il n'était plus que de la terre, de l'eau et de petits points incandescents qui scintillaient" où ailleurs toujours dans Wolf Solent: "J'ai été stupide d'essayer de faire de mon âme un cristal dur et rond ! C'est un lac..rien d'autre...,avec une nuée d'ombres flottant au-dessus comme autant de feuilles!". Retour du réel qui refuse les projections humaines trop humaines. Pourtant la finalité du héros Powysien sera inlassablement de se laisser imprégner par la beauté du monde, par delà sa cruauté de toujours. S'il ne fallait lire qu'un roman de ce génial druide romancier, je vous conseillerais  « Givre et Sang ».


    « Witold Gombrowicz, la fin du simulacre.Heidegger, la pensée interdite. »

  • Commentaires

    1
    Mardi 3 Avril 2007 à 13:36
    Marc-Louis Questin
    Bonjour, je ne cherche pas à répondre directement à votre article ci-dessus. J'ai lu votre article à propos de Heidegger sur Agora Vox, que j'étudie depuis longtemps aussi et je suis donc venu sur votre site. Je lis également en ce moment, le livre de Marc-Louis Questin, méditations druidiques. Je vais peut -être en parler sur le site de TEST. Serait-il joignable quelque part? Merci
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    2
    ex nhilo
    Mardi 3 Avril 2007 à 19:17
    mlq
    Oui vous pouvez le joindre de ma part. Marc-Louis Questin Editions Eleusis 86, bis rue Riquet 75018 Paris
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