• Le massacre du sens

    " Il doit y avoir une autre forme, plus moderne, du suicide, susceptible également de se combiner avec l'homicide. (...) L'état d'exacerbation où se trouve alors l'individu est tel que, pour se soulager, il lui faut deux victimes. Voilà pourquoi, aujourd'hui, un certain parallélisme entre le développement de l'homicide et celui du suicide se rencontre surtout dans les grands centres et dans les régions de civilisation intense. C'est que l'anomie y est à l'état aigu".

    Emile Durkheim.


    Quasiment huit ans jour pour jour après la tuerie du lycée de Columbine, en 1999, un forcené a provoqué une fusillade qui a fait 33 morts, le 16 avril, sur le campus de l'université de Virginia Tech, près de Laredo, dans l'État du Texas. C'est le plus sanglant carnage jamais commis dans un établissement scolaire aux Etats-Unis.


    Jeune étudiant connu pour ses tendances suicidaires et ses écrits morbides, Cho Seung-Hui, un étudiant d'origine sud-coréenne âgé de 23 ans, en voulait aux riches, aux imposteurs, au monde entier. Il avait fait l'objet d'une enquête fin 2005, accusé du harcèlement sur deux étudiantes, et avait séjourné dans un hôpital psychiatrique lors d'une brève période. Dans un rapport daté du 14 décembre 2005, un 'expert médical lui attribuait notamment le profil de "mentalement malade, mais ne présentant pas un danger imminent pour lui et pour les autres à cause de sa santé mentale". Il le décrivait comme un être "incapable d'émotion", d'"humeur dépressive", "qui ne reconnaît pas les symptômes d'un désordre profond" .

    Le contrôle des armes à feu aux Etats-Unis est à nouveau mis en cause. Le président George W. Bush a invité son administration à lui soumette des "recommandations" pour anticiper ce genre de massacre. Plus de 30.000 personnes succombent chaque année aux Etats-Unis à des blessures par balles. Son approche de la tragédie est centrée sur la santé mentale du forcené, il n'envisage pas de revenir sur la facilité de se procurer des armes pour tout citoyen de son pays, droit fondamental et historique garanti par la Constitution aux Etats-Unis.

    Certains aspirent à renforcer la "loi Brady" qui impose que toute vente d'armes à feu soit précédée d'une enquête sur l'acheteur.

    Le jeune homme a envoyé des vidéos à une chaîne de télévision le jour même de son action terroriste, aspirant clairement à s'inscrire dans l'histoire médiatique. Obsédé par une reconnaissance virtuelle. Désincarné dans le champ social. Il a fondé sa cause sur rien comme disait Max Stirner. Il voulait être puissance pendant quelques secondes ou minutes. Il lui fallait détruire. Détruire pour capter les ressources. Celles « qu'ils » ne lui avaient jamais accordées. Forcer le destin. Inscrire la trace d'une unicité quelconque. Décrocher une mort glorieuse. A leurs dépens. Prendre des galons dans le déshonneur et l'absurde des contingences. Ce serait pathétique et vain, il le savait. Le geste-massacre serait l'aveu de son désaveu. Ce serait entériner son rejet pour toujours. A jamais se faire doublure d'effroi. S'écrouler dans l'indignité. Loin des plages californiennes et de l'hédonisme qu'il percevait arrogant. Loin des réussites au formol couchées sur papier glacé. Loin des comptes en banques étoffés par l'obscénité et l'ignorance collectivement semée, si loin et pourtant si proche, totalement frustré et fasciné par ces artifices inaccessibles.

    Dans cette interminable danse de duplicité quantique déversée sur les petites lucarnes à zapping qui proposent un monde par le petit œil de la lorgnette, un monde totalitaire de petitesse pour gens rapetissés, Cho Seung-Hui a voulu inscrire sa trace. Une trace empoisonnée. Une trace rageuse, enténébrée.

    Ne sont-ce pas les lois laxistes sur le port d'armes qui lui ont fourni les munitions et la haine en provision ? Ne sont-ce pas de fausses valeurs qui l'ont rendu malade ? Les massacres récurrents dans ce pays n'ont-ils aucun rapport avec la grande suffocation planifiée par des médias qui substituent en lieu et place d'une liberté et d'une souveraineté humaine, à hauteur d'individu, des heures de vulgarité, d'obscénité et de violence esthétisée complaisamment ? Les lions dans l'arène romaine ont été remplacés par l'audimat mais l'hallucination organisée naît à la même source fétide. Le règne de la quantité a triomphé, il est le roi de ce monde marchandisé. Les taux de suicides qui battent tous les records occidentaux n'y changeront rien, l'avidité du Léviathan économico- « culturel » est dévoreur de jeunesse. C'est sur le cadavre de la démocratie que cet étudiant a tiré, c'est de lui qu'il est né, comme une inconsciente sécrétion. Et ce spectacle de délitement médiatisé, de déréliction civilisationnelle nous rend convives de l'impersonnel, nous fait boulevards désincarnés. Il tue le cœur et l'âme des spectateurs mondialisés à chaque seconde, rendant des cultes au grand Morose, à l'anéantissement de toute élévation humaine. L'Europe reproduisant toutes les dérives américaines avec une décade de retard, il faut s'attendre à affronter de tels phénomènes nihilistes dans les années qui viennent dans nos contrées à la remorque de cet empire aveugle à ses propres retombées sociétales.

     

     http://www.dailymotion.com/video/x1r6mg_le-tireur-de-virginia-tech-sexprime

    « doublure d'abîmesL'euthanasie de l'absurde. »

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