• La noyade du contrôle

    Mardi  20 mars 2007 à Sausset-les-Pins dans les Bouches-du-Rhône, le corps d'un enfant de deux ans et demi qui avait disparu la veille a été retrouvé tôt le matin. La voix blanche du procureur de la République d'Aix-en-Provence annonce douloureusement les faits crus :
    « Le corps du petit Jordan a été retrouvé ce matin vers 09H30 dans les vagues, en bordure de plage à proximité de l'école Jules Ferry, d'où il avait disparu lundi vers 17h30."

    Jordan était  sorti de la cour de l'école pour aller en bordure de mer, attiré par la beauté du spectacle, le vent soufflait très fort et la mer s'agitait en cadence.
    Il accompagnait quelques minutes auparavant sa mère qui était venue participer à une réunion pour son frère aîné. L'école sanctuaire demeurait ouverte pour laisser pénétrer les parents conviés. Les flots n'étaient qu'à quelques mètres des salles chauffées et du conseil de classe. D'autres enfants s'amusaient dans la cour, des rires fusaient de-ci de-là. Au loin l'horizon s'offrait à la vue émerveillée, ouverte sur l'infini. L'avenir de l'enfance, innocente, aveugle au danger, jouant sur le sable, tournoyant à la merci des éléments. Des passants sans doute, au loin, imaginant la promenade familiale et l'enfant libre au devant.
    Il faisait froid et le ciel était sans nuages.  On croyait tout contrôler. Les gendarmes, la sécurité routière, l'éducation nationale, les projets pour la rentrée, les notes des uns et des autres. Tout était en ordre dans la station balnéaire prête pour le printemps à présenter son visage le plus avenant. On pouvait tout contrôler sauf la fulgurance aventureuse d'un enfant. Sauf la puissance illimitée des fonds marins. Sauf la rencontre de cette fugue enfantine et de ce ressac opaque. En un instant s'abolissait tout contrôle, tout jugement, toute prévention, toute rétention. On gloserait ensuite sur la nécessité de fermer plus drastiquement les écoles, de ne plus accepter le moindre risque, d'installer des videos surveillance et d'embaucher des agents municipaux en nombre accru. Et pourtant, le ressac continuerait de se projeter sur les digues de la station, indifférent aux mesures humaines, au ballet des lois restrictives. Et pourtant des enfants continueraient d'échapper à toute vigilance parentale. On ne pouvait pas cloner la mer pour la rendre inoffensive. On ne pouvait réguler le déferlement marin au 21ème siècle. On ne le pourrait jamais. Mais il ne fallait pas trop s'y attarder, cela ressemblait à la fatalité et au tragique. Et ça, c'était inacceptable. Car nous contrôlions tout n'est-ce pas ?
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