• L'euthanasie de l'absurde.

    Euthanasie est un mot dérivé du grec composé du préfixe "eu" qui signifie « bien » et du terme "thanatos" qui signifie « mort » et signifie bonne mort, c'est-à-dire mort dans de "bonnes conditions".
    J'ai vu comme des milliers d'autres à l'hôpital Dieu le mal nommé ( ?) ou bien ailleurs des proches mourir lentement sous mes yeux. Leurs cheveux tomber un à un, leurs dents également, leurs peaux passer du parme au verdâtre, leurs yeux se révulser sous les coups de boutoir de la souffrance pure, la bave s'écouler lentement au coin des commissures de lèvres qui n'en étaient plus et leur sang se déverser abominablement dans des cuvettes d'infortune. J'ai vu l'impuissance de la science moderne à réguler la désintégration du vivant. J'ai vu ces regards qui autrefois portaient la vie et l'espérance implorer à leurs visiteurs la fin qui ne venait pas. Le ballet du corps médical devenir fantomatique, éluder la responsabilité finale, celle d'abréger l'inutile. Il y avait bien de la morphine délivrée au compte-gouttes, comme un permis de ne pas souffrir accordé du bout des lèvres, comme à moitié, comme à contre-coeur. Un permis ne suffisant aucunement à abréger la barbarie désorganisée.

    J'ai vu la lâcheté des vivants face à ceux qui ne parvenaient à mourir, face aux zombies reclus dans le déchirement d'eux-mêmes. Abandonnés à l'aberration d'une présence qui n'en était plus une. Il ne leur était plus accordé que des heures et des semaines de vomissements, de diarrhées, de tremblements convulsifs et de gémissements vains, perdus dans le silence opaque de couloirs vides et d'échos de téléviseurs ouverts en boucle sur l'inanité de tout. Il leur était désormais interdit de pouvoir communiquer, vivre quoi que ce soit de digne et de sensé. Interdit d'être à eux-mêmes et au monde. Interdits de décence, de sérénité, de paix psychique et corporelle.

    Condamnés à la torture indicible et légalisée par une gigantesque hypocrisie collective.

    J'ai entendu des sommités intellectuelles parler du respect du vivant, de la nécessité de laisser faire la nature, de ne pas violer les lois. Oui on parlait éthique et respect sur des plateaux de télévision, entre gens bien portants. J'ai entendu les responsables médicaux annoncer froidement qu'ils ne pouvaient plus rien, que l'on pouvait reprendre nos proches et les laisser mourir « en paix » chez eux, comme des chiens que l'on abandonne au coin d'un arbre, en bord d'autoroute.

    Je pensais aussi mal qu'eux, bien à l'abri des faits incarnés et de l'odeur du sang et de l'urine incontrôlée que « l'éthique imposait la circonspection », « le principe de précaution », qu'il fallait éviter « les débordements », certains faits divers démontraient le danger d'une euthanasie incontrôlée. J'ai pensé l'impensable, théorisé sur du vent, me suis « masturbé » sur des principes creux, comme ces théoriciens désincarnés qui animent des pantomines irréelles. J'ai lu les interdits proférés par les religions, lu que l'homme ne dispose pas de sa vie, qu'elle est un don sacré et intouchable, inchangeable. Qu'il y a des pressions financières liées au coût élevé des soins, que cela pourrait discriminer une fois de plus entre les riches et les pauvres le traitement réservé à leurs proches. Qu'il pouvait exister des pressions morales de la part d'individus mal intentionnés. Que les patients pouvaient changer d'avis selon le degré de leur souffrance et parfois plonger dans l'indécidable de l'inconscience. Que les proches pouvaient projeter leur souffrance sur le malade et manquer d'objectivité quant à l'état réel du concerné.

    Que l'on pouvait dissimuler un meurtre en acte compassionnel. Que la dérive vers l'eugénisme était ouverte béante sur l'arbitraire. Que la horde des héritiers rapaces profiterait d'une loi légalisant l'euthanasie pour accélérer le processus cynique de leurs désirs inavouables. Que les antidouleurs et les tranquillisants constituaient la chaîne parfaite des soins palliatifs rendant toute forme d'euthanasie caduque.

    Mais ce verbiage a été balayé par ce que j'ai vu et senti, et comment j'ai vibré sous les coups de pieds et de tête donnés dans le vide, sur des lits d'abattoirs par des êtres que j'aimais. Alors j'ai compris qu'il fallait ouvrir les yeux sur l'intolérable et au nom de l'humain y mettre un terme. Un terme souverain et déterminé, dans l'assentiment lucide des concernés quand il est encore temps de trancher et sous le contrôle d'une loi qui se ferait enfin loyale et ouverte à la compassion, et véhiculant honorablement le refus catégorique de la cruauté pure. Celle de consentir à la lâche passivité devant le spectacle d'une désolation muette et inassumée. Indigeste et pourtant tolérée par l'aveuglement collectif. Aucun dogme religieux, aucun loi naturelle ne justifiera jamais les hurlements de condamnés qui se perdent dans la nuit des hôpitaux publics, dans des ressacs d'inhumanité au coeur du vingt et unième siècle.

    Aucun politicien, aucun médecin, aucun philosophe en chambre, aucun responsable d'aucun ordre n'a la moindre légitimité pour tolérer cet intolérable là.
    « Le massacre du sensNus et glacés »

  • Commentaires

    1
    mac léon résistant
    Mercredi 16 Mai 2007 à 01:06
    ....
    Rien à dire : vraiment excellent !
    2
    Lundi 21 Mai 2007 à 04:51
    Oui...
    Bravo, Thomas...
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