• Chroniques subjectives du cinéma contemporain.

    En matière de critique, on n’a le plus souvent comme alternative que le choix entre des chroniques de cinéphiles, subjectives et de parti pris, tantôt techniques et théoriques, tantôt passionnées ou faussement distanciées, voire purement factuelles, aspirant à vendre de façon impersonnelle des produits filmés. 
    J’ai souhaité tenter une autre approche, à la fois sur un plan stylistique et philosophique. Proposer une approche non critique en elle-même mais purement esthétique de l’objet filmique, tenter de coller avec le flux des images, plonger au coeur de ce qui est montré, sans jugement, sans théorisation sur tel ou tel angle de prise de vue, telle colorisation, tel montage, tel message prêté aux cinéastes, tel scénario et sa logique possible à l’oeuvre, et autre cohérence de plan. Considérant comme indécidable la valeur absolue d’un film, face à la suprématie des situations optiques et sonores qui se déploient sur des écrans de neutralité pourtant commerçante, j’ai laissé place à un recueillement mémoriel, qui de simulacre fictionnel en trompe-l’oeil obsessionnel, pouvait être à même de laisser resurgir le caractère composite propre à tout dispositif filmique, afin d’intégrer le lecteur au flux des spectacles décrits, sans recul narratif possible. Si le cinéma est, comme le considérait Deleuze, « la mémoire du monde », et « l’espace de tous les possibles » selon Lukàcs, alors, que faire de jugements à posteriori sur la consistance et les qualités présentes ou non d’une manifestation essentiellement magique ? À savoir dépendante de milliers d’interactions échappant au domaine strictement rationnel, mais s’appuyant sur des contextes émotionnels, culturels, économiques, politiques, sexuels, temporels et donc métaphysiques, si variés, hétéroclites et contradictoires, qu’ils ne peuvent faire l’objet d’un avis, au sens strict du terme, sans passer à côté d’une part significative de leurs contenus respectifs. Rendre au lecteur l’effet proprement neurologique et émotif d’une déflagration sensorielle qui ne se rembobine pas, ainsi pourrait se résumer l’entreprise qui suit. Fantasme de réalité, trouble de l’invisible incomplétude, de la pellicule au numérique, le cinéma poursuit son sillage mécanique et poétique, en perpétuel reflet anthropologique qu’il est, et dont l’essence est une métamorphose incessante prolongeant celle de l’humanité. Chaque chronique prétend témoigner de ce caractère mutant, fluctuant, qui innerve la somme d’images aspirant à former un tout indécomposable, que pourtant, chaque coupure de montage décompose, chaque dialogue, chaque musique fait plonger vers le chaos d’impressions disparates, finies, fragmentaires et insolubles via quelque dissection cognitive d’apprenti critique. 
    Le cinéma représentant le monde, avec ses propriétés, son unité, sa nécessité et ses hasards, passeur d’identifications, de résistances, d’accélérations, de valeurs, préparant ses consommateurs à toutes les adaptations, densifications et démultiplications, le cinéma donc, est un art titanesque qui charrie hors champ la complexité vagabonde de notre modernité, ainsi que sa violente vacuité. Ses écrans enregistrent tous nos affaiblissements et contournements devant un avenir toujours plus illisible, dont les aléas modèlent les coutures scénaristiques, et les montages à condensation imposée par la vitesse de zappings privatifs. 
    Les différents systèmes narratifs plus que jamais accessibles du fait de la mondialisation, interrogent notre capacité plastique à contempler l’environnement mondain sous des auspices hétérogènes, en articulant la temporalité du récit selon des axes toujours plus déconcertants. Dans le même temps paradoxal, une unification par les plus pauvres dénominateurs communs (sexe, violence, cupidité), s’affirme au fil des sorties, qualifiées en tant que performantes au box office. Chemin de signes délaissant quelque schématisme formaliste que ce soit, ce recueil tente de s’ouvrir à un perspectivisme de l’inconscient. Pour le dire autrement : à un effeuillage littéral des souvenirs provoqués par chaque projection filmique produite via cette usine à images ininterrompues. 

    Si l’effet d’un panoramique à trois cent degrés est émouvant, ce n’est pas en précisant la qualité du verre optique utilisé que cela prendra corps dans un texte. Pénétrer dans une salle dite obscure, c’est accepter d’éteindre la flux immédiat des faits mondains pour entrouvrir le voile de la matière sur son origine mystiquement spectrale, son dédoublement onirique, et au final l’immanence d’un inconscient opaque à tout déploiement civilisationnel. Un art réunissant virtuellement tous les autres, à soi seul matrice d’enfantement sensationnel, machinerie phénoménologique et industrie de diversion virale, étalage d’un paraître visant parfois sa propre abolition. Odes puritaines, romantiques, apocalyptiques, ascétiques, charges technophobes, écologistes, humanistes, naturalistes, misérabilistes, horrifiques, quels que soient leurs registres, apologétiques ou dénonciateurs, les films demeurent les sécrétions hybrides de fantasmes professionnels ouverts les uns sur les autres comme des portes sur d’autres portes d’un champ d’extension de formes infinies porteuses de toutes les subjectivités. Le septième art navigue entre intériorité incantatoire et extériorité subliminale (et inversement), subvertissant régulièrement ses propres codes dans une soif illimitée de surprise. Ce recueil déroulera des faits bruts, incorporant l’étrangeté de situations enchevêtrées, éparpillées, coagulées, fractionnées par le souvenir et les notes de visionnage. Mon choix de critiques ne tient pas aux genres, qu’ils soient d’auteur, de fantastique, d’horreur, d’action ou de comédie, mais au caractère le moins stéréotypique des oeuvres traitées. Décrire une rencontre sensorielle aussi fragile et ténue ne peut se faire que par une dialectique élancée en creux, admettant la finitude de sa propre entreprise, refusant de domestiquer l’émotion au fond d’une décharge pour collectionneurs de titres, références et génériques de fins oubliées. Il n’est pas non plus question de prescription exhaustive sur un mode laudatif, mais d’émancipation du verbe épousant le souvenir rafraîchissant d’un moment spectaculairement projeté sur tel ou tel écran de remembrance, pour tel ou tel instant d’omniprésence. Il n’est pas non plus question d’atténuer l’aspect hétérogène des films choisis, pour former artificiellement un tout simulant une cohérence de goûts électifs, compte tenu du choix d’assumer le caractère justement hétéroclite d’une attraction pour une oeuvre, basé sur une sensibilité protéiforme et donc nécessairement contradictoire. Il sera donc plutôt question de dessiner le portrait d’une poétique cinématographique, en passant par une écriture disjonctive plus ambitieuse et pertinente qu’une simple description interprétative d’intentions proclamées d’un cinéaste, scénariste, acteur ou producteur. Pourtant, même si ces chroniques n’aspirent pas à une homogénéité de façade, un dénominateur commun relie toutefois les films traités : leur non volonté de présenter le monde comme hospitalier, harmonieux et léger. Le projet de tout film exhibe un certain rapport au monde issu d’une société donnée, s’appropriant les manies et injonctions d’une époque, conditionnant et recrachant en boucle ses propriétés alternativement singulières et impersonnelles. Du plus trivial au plus transcendantal des engendrements synthétiques, cet art majeur demeure, de projet en projet, un pont surnaturel entre les générations, qui, de diffusions en retransmissions amoureuses, de déroulé en travelling, accentuent ses gains de réalité, perpétuent le fil invisible d’une inattendue tradition, notion étrange et pourtant adaptée à ce septième art de dire le monde dans une tentative plastique de réapparition permanente d’ étants absents à eux-mêmes. 
    Ici donc, point d’abordage formel, mais une monstration opaque qui ne tient pas discours, point d’analogie rationaliste mais une épiphanie impressionniste de mots à la recherche du miracle premier : percevoir un autre possible, accéder à la totalité du réel en sortant d’une séance de cinéma, séance à jamais irréductible aux jugements univoques. 

    « La soumission en douceur de Michel Houellebecq. Illusion d'État. »

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