• Chaos inexpiable.

    Un roman écrit, cela devient comme étrange. Il y est question d’un nihilisme total et absolu, celui qui s’empare y compris de la Foi, la faisant tourner à vide, dans une volonté de purification sans fin, à perte, avec la mort comme seul attribut existentiel, seul horizon déterminant le quotidien, dans une anomie illimitée, à la recherche de frontières disparues, réinventées, comme des fantômes de normes enfuies. « Le changement, fût-il miraculeux, réclame du temps pour s’accomplir, le bien et le mal cohabitent jusqu’à la victoire finale du premier. Comment savoir où commence l’un, où finit l’autre ? Le bien pourrait après tout n’être qu’un succédané du mal, il est dans les ruses de celui-ci de bien s’habiller et de chanter juste, comme il est dans la nature du bien d’être conciliant, jusqu’à la veulerie, la trahison parfois. » Le néant divinisé, dissolvant toute forme d’entendement commun, ne laissant plus que ruines, explosions et sacrifices à perte, aspirant à effacer un péché inexpiable. Des populations asservies à l’obscurité, en une pantomime sanglante et grotesque. L’inconnu devenu sanction, culpabilité, faute à expurger, à éliminer par le crime qui se présenterait en vertu, via une théologie de négation, désertée de toute affirmation en faveur du vivant. « Dans son infinie connaissance de l’artifice, le Système a tôt compris que c’était l’hypocrisie qui faisait le parfait croyant, pas la foi qui par sa nature oppressante traîne le doute dans son sillage, voire la révolte et la folie. Il a aussi compris que la vraie religion ne peut rien être d’autre que la bigoterie bien réglée, érigée en monopole et maintenue par la terreur omniprésente. » Tuer le doute et la Foi au profit d’un mimétisme comportemental automatisé, digne de la méthode Coué et des théories en PNL ou TCC : « Ne cherchez pas à croire, vous risquez de vous égarer dans une autre croyance, interdisez-vous seulement de douter, dites et répétez que ma vérité est unique et juste et ainsi vous l’aurez constamment à l’esprit, et n’oubliez pas que votre vie et vos biens m’appartiennent. » Demeure l’angoisse de l’absence d’un grand régisseur dans le visible le plus prosaïque : « On sait le ciel peuplé d’anges, l’enfer grouillant de démons et la terre couverte de croyants, mais pourquoi une frontière à ses confins ? Elle séparait qui de qui, et de quoi ? » Tout intérêt momentané doit être éliminé au profit d’une bataille à toujours plus généraliser, contre soi, contre tous, contre tout. Des corps à censurer, des libertés accusées, au profit d’on ne sait plus qui, ni quoi. Le manque du religieux muté en une abrasion barbare, faisant sauter tout ce qui pourrait encore séparer le temporel de l’infini ailleurs, à défaut de mener une guerre intérieure pourtant première dans tout texte fondateur, une guerre extérieure contre un ennemi protéiforme prenant le VISAGE DU MONDE en tant que tel. « Parfois, des semaines et des années durant, la vie manquait de tout, rien ne retenait le malheur qui déferlait sur les villes et les vies, sauf que c’était chose normale et juste, on se devait de constamment affermir sa foi et apprendre à narguer la mort. » La disparition de l’intime au profit d’un dehors tragiquement normatif et exclusif. Le drame qui est décrit dans 2084, c’est celui d’un règne exotérique et « pharisien » d’obséquiosité morbide qui se substitue à l’ésotérique réel pour ne plus proposer que des totems et des tabous sociétaux en lieu et place du Mystère, le bruit des armes effaçant le silence des âmes. Le tumulte des rapports de forces contre l’ascèse, la recherche d’un avènement au final moderne contre la tradition atemporelle. Le règne illimité du calcul, celui des moyens extérieurs, formels, violant toute intériorité, aspirant à INSTALLER la perfection, au détriment de la quête, la recherche d’un ordre conforme contre la connaissance de l'imperfection essentielle de l’humain, en somme : une immense occidentalisation de l’Orient. Ce roman traite donc non des émois de bourgeoises délaissées et de bobos désabusés, mais d’un négativisme négationniste de toute relation entre le bas et le haut, de l’involution métaphysique terminale à l’oeuvre sur nos écrans mondialisés. Un livre à lire, pour changer. « Dans le vide, la vie se fait bizarre, rien ne la retient, elle ne sait où s’appuyer ni quelle direction prendre. Tourner sur soi-même sans changer de place est une impression déplorable, vivre trop longtemps de soi et pour soi est mortel. La maladie abat de son côté bien des certitudes, la mort ne s’accommode d’aucune vérité qui se veut plus grande qu’elle, elle les ramène toutes à zéro. » Sommet de désagrégation religieuse, 2084 prolonge sur papier le délitement de sociétés autrefois organiques, déboussolées par une modernité sans boussole, livrées au mélange de tous les contraires falsifiés, dans un effondrement aux allures d’Atlantide démoniaque. Un infra monde où l’homme désirerait l’inévitable horrifique, et fuirait toute paix possible, sûr d’avoir à se reprocher le fait d’être encore en vie. Extraits de : Sansal, Boualem. 2084. La fin du monde. Gallimard. 2015.
    « Soldats de l'AilleursLe Lob du Destin. »

  • Commentaires

    1
    Rami
    Vendredi 13 Novembre 2015 à 22:38
    De faible contenu non?
    2
    Mardi 17 Novembre 2015 à 12:41
    Moyen.
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