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retour.
Depuis quelques années, et plus que jamais à l’occasion de la sortie d’Horizons, son nouvel album, commentaires sur le net, articles et chroniques remuent fréquemment la même vase, pour tirer sur une ambulance avec cette tendance morbide à enfoncer celui qui ne se noierait pas comme l’on voudrait, dégageant la sourde impression de souhaiter la mort au moins sociale d'un artiste qui n'aurait plus le droit que de disparaître.
Parole de Droit Dans Le Soleil :
Tous les jours on retourne la scène
Juste fauve au milieu de l'arène
On ne renonce pas, on essaie
De regarder droit dans le soleil
Et ton coeur au labo de lumière
Quand l'amour revient à la poussière
On ne se console pas, on essaie
De regarder droit dans le soleil
A la croisée des âmes sans sommeil
L'enfer est myope autant que le ciel
On t'avait dit que tout se paie
Regarde bien droit dans le soleil
Tourne, tourne la tête
Tout se dissout dans la lumière
L'acier et les ombres qui marchent à tes côtés
Quand le parfum des nuits sans pareille
Et l'éclat des corps qui s'émerveillent
Ses lèvres avaient un goût de miel
On regardait droit dans le soleil
Les serments se dispersent dans l'air
Et les mots qui retombent à l'envers
On ne sait plus comment ça s'épelle
Regarder droit dans le soleil
Tourne, tourne la tête
Tout se dissout dans la lumière
L'acier et les ombres qui marchent à tes côtés
Assiégé par le chant des sirènes
Sentinelles au milieu de la plaine
Le tranchent de l'oeil en éveil
Pour regarder droit dans le soleilComme si l'on pouvait cliver ce qui se passe en une fraction de seconde dans les neurones d'un humain, diviser le bien du mal à tout moment, en tout instant et en tous lieux, comme si le mal ne s'insinuait pas dans l'ombre des meilleures intentions, à la vitesse de la lumière, dans les actes et les cœurs, emplissant de confusion certes, mais préparant lentement et sûrement son terrain fertile, accumulant les préjudices jusqu'à former une ébriété d'indignation qui fait sauter les ultimes digues d'attachement et de respect. La jalousie torturante. La glace des accords rompus qui dépossède, qui invite à ne plus se maîtriser soi quand on aspire à posséder l'autre, quand on abdique la souveraineté de son jugement, quand on veut faire dépendre de soi ce qui n'en dépend pas comme le savait Marc-Aurèle et non Maïakovski.
On reprocherait presque à Cantat de ne pas être Peter Pan, trop habile à se situer, et pas seulement à l'instinct, face aux médias et au monde. Peter Pan ne fait pas de procès au capitaine crochet, il ne demande pas de liberté conditionnelle. Le romantisme sacrificiel dont on a parlé à foison et souvent à demi-mots ne se retrouve point dans la volonté de réduire au maximum la sanction par les demandes de liberté conditionnelle. Certains semblent réclamer un silence absolu et irréversible pour accompagner « dignement » la déroute de ses amours. Le silence imposé légalement des années durant n'a pas assouvi le ressentiment d'un certain public à l'égard de Cantat, qui semble chuchoter qu'il faut éthiquement (car l'éthique induirait des injonctions) opposer à la faute première et ses velléités criminogènes la honte et le repentir d'un désengagement total, au-delà de la culpabilité affichée, qu'il faudrait y rajouter vitalement le repentir du silence définitif, du désengagement effectif non imposé, voire s’imposer une mort sociale radicale. Certains n'ont pas accepté et continuent de ne pas accepter ses tentatives de renaissance artistique, son égo bien présent, toujours prompt à se défendre et s'affirmer dans sa dignité bafouée. Bref une force qui s'affirme et non se renie. La faillibilité essentielle de l'homme (non discutable vue de haut puisqu’universelle, mais qui peut prétendre voir et juger de haut ?) a dézingué l'égalité, la liberté et la fraternité dont il se faisait le porteur public, en refusant des sms ambivalents, en acceptant un combat physique inégal. Certains misaient sur une attitude moins combattive, en somme désarmée, face notamment à la presse poubelle et à la faillibilité des autres. Question de caractère, question subjective, subalterne, ou pas. Il faudrait rappeler à ces indignés professionnels que l’art n’a jamais été éthique en soi et que ses porteurs n’ont pas pour mission d’incarner on ne sait quel principe.
Le factuel est là, les paroles et notes de ce nouvel album sonnent juste, et cette justesse vaut tous les justiciers virtuels, Cantat sait s'évanouir dans ses mots simples avec les yeux d'un enfant qui n'a pas renoncé à lui-même, avec la tendresse au bord des lèvres et la cruauté dans les notes, une bouche à dire des choses infinies, des paroles qui forment une liturgie sans Dieu mais proférée avec une soif de sacré, démentant par la même occasion ceux qui prétendaient qu'il n'avait plus rien à dire sans son groupe.
Bertrand Cantat Entre Ethique du Degagement et Immanence du Controle, Ed. L'Harmattan, TR.
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