• Et puis se taire, blotti dans des couvertures jetables et rêches, moins confortables que celles prêtées par la SNCF. Un tapis de sang s’étale au quatrième étage, c’est Julie qui a encore décidé de se scarifier, les vœux de sortie en débâcle. Sa souffrance me répugne autant que l’indifférence du corps hospitalier à son égard. Il faudrait leur fracasser les os une bonne fois et qu’on en parle plus, à eux tous. En attendant, je dresse la liste de tout ce que je vomis entre ces murs : je hais les sourires faussement bienveillants des infirmières qui ne pensent qu’à refaire leur teinture, les sons de bouches asséchées par les traitements, les adolescents qui crachent sur leur famille parce qu’ils n’ont pas reçu l’amour attendu, les familles qui rasent les murs comme des rats à la recherche d’un bout de fromage, l’arrogance du Directeur dans sa façon de te regarder comme un objet abandonné, l’humour du balayeur qui a trois mots à son vocabulaire et ne semble pas réaliser qu’il travaille en enfer, les éclats de rires totalement incongrus en ces lieux, les caprices des syndiqués qui se barrent au moindre prétexte simuler des manifestations catégorielles pour en branler encore un peu moins, la bonhomie facile de l’assistante sociale chargée du bon côté des choses, les docteurs irréprochables qui ne font que passer pour prendre la tension, l’horizon avec ses putains de nuages aux mêmes contours grossiers, les flagorneries de mes amis prenant des nouvelles tous les 5 du mois, les surnoms adoptés par la cohorte de débiles qui m’entourent, le conformisme aveugle des conduites adoptées par les ouvriers chargés de repeindre les murs, le bonheur crétin des camés reprenant une ligne adjointe à un pétard de piètre qualité issu d’Ivry, les lunettes de Florence qui la font ressembler à Eva Joly, la lumière blafarde du réfectoire qui pue la mort, le professionnalisme désincarné généralisé, les expressions recuites et caduques à base de « ça le fait » qui tournent en boucle dans la cour jonchée de chiures de pigeons, les radios branchées sur Nostalgie, les discussions de pétasses concentrées sur le meilleur cosmétique pour masquer les retours d’acné, la couleur des bureaux proche d’un gris cercueil,  le bronzage du responsable de cours de danse qui fait passer Jack Lang pour un taulard  norvégien, les odeurs d’urine et les flaques qui te reflètent sur le carrelage brun, les histoires d’anciens détenus mûres pour les grosses têtes, la fausse communion entre nous, les sonneries de téléphones portables faussement personnalisées, les vêtements mal repassés qu’ils nous refilent comme des présents, les cloches de l’église de St Maurice qui parviennent inutilement jusqu’ici, le sectarisme des footeux quand il est question de décider du programme Tv, le soleil qui ne se montre jamais, la putain de sensation de soumission que certains te transmettent par un simple regard, la négligence qui m’a valu de me retrouver là, et surtout, les gens libres, dehors, qui ne le savent même pas.


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  • « Le cœur  fidèle de la vérité qui s'impose » Fragments (Parménide)

     

     En Europe, la notion d'identité est devenue un point d'ancrage et de réinterprétation continu. Sous-tendue par les préceptes de la philosophie des Lumières, « l'identité » tire ses racines de plusieurs siècles d'accumulation conceptuelle, passant notamment par l'affirmation de « l'identique » contrebalancée par celle de « l'autre ». L'idéalisme, de Kant à Hegel, s'est fourni un  « en-soi » unitaire toutefois non dépourvu d'un rapport permanent à l'idée d'altérité, et donc au « non-soi » (cette dialectique s'étant bâtie sur une dualité intrinsèque, à savoir celle de l'appartenance et de la non-appartenance).

    Le « même » étant assimilé  à « l'être », et ce dernier fournissant un paravent tautologique et brumeux au « non-être », relégué aux apories de l'impensable (pour ce qui concerne la filiation idéologique rationaliste). Diverses conjonctions historiques comme le libéralisme triomphant allié à l'effondrement des traditions séculaires ont atomisé cette notion d'être pour la « délocaliser » vers celle de l'individu, ouvrant la porte à une hiérarchisation bâtarde des manifestations d'un principe fondateur, désormais non nécessairement rattachées à quelque base univoque, centralisatrice ou organique qui devrait les soutenir unanimement. Demeurent des correspondances, synchronismes et interdépendances circonstancielles, des fluctuations stratégiques, des aménagements de façade, des arrangements artificiels, et surtout des conflits d'interprétations et de valeurs, la brèche du différentialisme appuyé sur un relativisme assumé s'étant accentuée.

     

    Les fondations de l'idée d'identité se sont morcelées progressivement en répliques miniaturisées dépourvues de solutions adaptées. L'apparition de l'ère atomique a en quelque sorte légitimé par la sphère technique ces constellations de présences disséminées sur un territoire qui n'est que mythique. C'est donc à une expropriation de l'être que l'Europe se doit d'avoir à faire face. Il n'existe plus qu'une coappartenance virtuelle de divers plans vitalistes, qu'Internet vient chapeauter de façon abstraite. L'ordre social ne s'appuie plus que sur une apathie généralisée, et non sur un fond identitaire motivé au sein de sociétés régies par le matérialisme individualiste. L'aboutissement logique d'un tel effritement conduit au règne des auto-appropriations partiales, cette tendance ayant été encouragée par l'idéologie libérale-libertaire.

    Les appartenances politiques, religieuses, culturelles, ethniques, sexuelles, et autres,  sont finalement prises en otage par une anomie généralisée. Le culte de la différence pour la différence conduit finalement au nivellement vers l'uniforme, voire l'informe. Il ne s'agit plus que de prétendre représenter ces différences, de les dupliquer, pour mieux les instrumentaliser au profit de règles marchandes. Dépourvu de toute éthique verticale et transcendantale au sens Kantien, qui mangeait un peu trop de moutarde, ne demeure plus qu'un consensus friable et volage pour prétendre assurer la perpétuation d'un processus historique gravement altéré parce qu'inquestionné. Il ne se déploie plus qu'une pseudo-régulation  arbitraire et inique.

    Un citoyen européen habite en fait un "domaine sans nom" ni  "adresse" car il ne vit pas ce processus de manière affective. Les lois sécrétées par des élites de fonctionnaires désincarnés feignent de gouverner un bateau en l'état ingouvernable du fait des disparités historiques, culturelles et économiques qui se déplient en son sein. Le rapport au refoulé historique qui émaille quotidiennement l'actualité des diverses nations composant cette dite Europe revient par la grande porte rappeler aux peuples la nécessaire communauté de destin qui est censément chargée de la cohésion générale, et ce, non par des ordres impersonnels votés par une minorité autocratique et auto-déclarée représentative.

    Le Conseil européen peut-il légitimement se proclamer fidèle à une source d'être commune alors qu'il n'est que le fruit d'un processus essentiellement élaboré par des gouvernements qui ne sont unis que par tactique économique circonstancielle et non par fidélité à un désir d'avenir commun ? Nombre de peuples consultés ont manifesté leur insolidarité envers ce projet, on les a au mieux fait revoter, au pire dénié la volonté de revoir ou d'interrompre le projet en son état. Le saut faussement qualitatif par-dessus cette nécessaire médiation populaire grève à moyen et long terme l'efficacité strictement pragmatique d'une telle alliance, privée qu'elle est de toute essence autre que boursière. Il s'agit d'un évitement structurel qui en dit long sur la nature même du dessein qui préside aux manettes de cette assemblée de peuples, à "l'insu de leur plein gré".

     

    Pensée hors des populations pourtant directement concernées, la "constitution européenne" paie la facture du désamour qu'elle inspire en imposant chaque jour qui passe des directives abruptes et arbitraires qui ne rencontrent qu'un très faible écho auprès des administrés  directement visés. Aucune autorité administrative n'est en mesure d'imposer durablement un tel projet sans avoir recours à un assentiment réel des populations concernées. Les subsides, les aides de toutes sortes ne font que provoquer des réactions en chaîne qui à leur tour induisent des situations de crises à répétition.

     

     

    La politique agricole commune a entraîné certains bienfaits mais également des dommages collatéraux violents laissant de nombreuses zones en jachère (tout particulièrement pour les petits exploitants). Un inconscient collectif est peut-être une chimère, mais il semble bien qu'un réveil de cette mémoire tue jusqu'à présent se déroule sous nos yeux ébahis. Le souvenir des batailles intestines déployées sur ce continent est toujours présent,  l'atomisation des mentalités et des cultures demeure. L'opacité des décisions, l'anonymat absolu de leurs tenants et aboutissants engendre une incompréhension mutuelle. Nous pouvons toujours scander "l'Europe, l'Europe", d'une coquille vide l'on ne produit pas une force en expansion. Quand demeure seulement la légalité non soutenue par l'éthique, les issues sont incertaines.


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    Parce que nous étions amoureux de toute folie.

    Au milieu de la crémaillère, les verres tintaient et les mots s'entrechoquaient, le sang accroché aux pupilles, dans un bruissement enivrant de glycine, tu faisais l'apologie du nucléaire iranien et des tueurs de masse, un verre de champagne ébréché à la main gauche, devant l'assistance indignée et contrite à la fois, parce qu'il y avait eu Hiroshima et Nagasaki, parce que les massacrés devenaient massacreurs, parce que les images de défunts ornaient inutilement des cimetières désertés et pavés en 1950 du côté de la Moselle, au nom d'une mémoire puérilement sacralisée que seuls nettoyaient des hommes en vert aux mouvements ralentis, et que jamais tu ne disais comme les autres de ton âge : « c'est juste énorme ». Pour toutes ces raisons, je riais d'un cœur ému, souhaitant me coller tout contre toi, face au monde. De nos jours, les professeurs s'immolaient à la récréation, l'on filmait les lynchages en gloussant dès la maternelle, et DSK trinquait à ses juges, la braguette à peine refermée. Tu voyais comme il faisait beau quand on se foutait de leur avis gluants de pucerons faussement moraux, comme il faisait bon à cette distance là. Refusant d'intégrer quelque grappe de conformité que ce soit, nous avions regagné le Bois, la tête en avant et les bras ouverts façon planeur déglingué. Arrachant des plantes rares et fumant des paquets de Fleurs du Pays. Aux caisses des supermarchés, je dissertais sur le terme de forcené qui ne signifiait rien d'autre que la peur assemblée en voyelles et consonnes, aspirant à s'agripper au poteau de l'ordre qui n'avait jamais eu lieu nulle part. Puis l'on aboyait devant un clochard surnommé Jésus que nous ne nommions pas SDF tout en lui donnant des billets de 50 euros dont nous avions pourtant besoin. Passant façon courant d'air dans le centre de l'Aubrac, je te déshabillais et l'on se superposait innocents. C'était une partition à deux temps, vagabonde et bizarre, que nous composions au fil des jours, sans crainte ni projet.


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