• Le rock français n’est pas mort, Varsovie bouge encore.

    Varsovie est un trio en provenance de Grenoble, formé courant 2005 par deux anciens membres du groupe avant-gardiste Forbidden Site : Arnault Destal (textes, batterie, arrangements) et  Thibault Chapelat à la basse. Un EP ("Neuf Millimètres") sorti en 2006 annonçait déjà la couleur et son premier album  enregistré fin 2008 au Drudenhaus Studio à Nantes vint confirmer de façon éclatante ce qu’un petit comité d’internautes avait rapidement deviné.

    La formation a arraché une soixantaine de dates en Europe et participé à divers festivals dont le Drop Dead Festival en 2007 à Prague.

    Varsovie se revendique clairement de l’héritage rock / post-punk, en dignes héritiers  de Joy Division et Noir Désir.

     

    Leur écriture, toutefois, ne se contente pas de recycler les groupes précités. Les références culturelles de ces authentiques francs-tireurs tendent vers un symbolisme voire un expressionnisme tout à fait étranger à la culture rock française.

    Les allusions historiques pleuvent (Insurrection de Varsovie), et littéraires également, Drieu la Rochelle (État Civil) par exemple.

    La voix du leader évoque une sorte de mutilation et de don à la fois, comme une saignée sans fin, substituant de la révolte à la résignation habituelle et conformiste des bobos qui colonisent le rock français (ou plutôt ses décombres).  Creusant des tranchées insatisfaites, le verbe de Varsovie est brûlant et brise l’éventuelle mollesse tiède de tout auditoire contemporain via son râle vibrant pour vies insoumises.

    Leurs sons semblent réellement provenir de l’Est et non de l’Ouest.

     

     Ces ébouriffés venus de nulle part, animés par une soif d'absolu inédite depuis Cantat, promettent de nouveaux rituels à même de réveiller une jeunesse qui s’endort aux sons de Biolay (talentueux certes, mais comme peut l’être un bon anesthésique).

     

    Pour qui veut goûter des lambeaux de déréliction et entendre un  ratissement froid et déterminé de tous les faux espoirs, ce groupe est celui qu’il lui faut.  Alors, basculons dans des canaux noirs aux relents d'humanité nauséabonde,  et écoutons État Civil, ça ira mieux après. Les bas-côtés du monde ont encore du grain à moudre et à  chanter, les cellules grises de l’asservissement radiophonique aux diarrhées capitalistes devront s’y faire.

    Ce premier album  flirte avec les frimas d’une confusion angoissée et rageuse, laissant les effluves du jour à la porte. Une ère de glaciation s’annonce à travers ce premier opus, qui fait penser à la guerre froide.

     

    Une guerre froide d’un nouveau genre.

     

     

     

     

    http://www.myspace.com/varsovie

     

    Tracklist 

    1- Etat Civil
    2- Etat d'Urgence
    3- 
    Clandestine
    4- Leningrad
    5- 
    Mademoiselle Else
    6- Cassandre
    7- Retour de Flammes
    8- La Promesse
    9- Demain en Septembre
    10- 
    L'Art de la Fugue
    11- Inertie

     

     


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  • Cher Bernard, permets-moi le tutoiement, car la familiarité de ta voix se diffusant à travers les diverses enceintes successives qui ont accompagné mes dernières décennies d’écoute radiophonique me le rend évident. C’est un de tes auditeurs pas comme les autres qui t’interpelle comme l’animateur pas comme les autres que tu es.

    http://sites.radiofrance.fr/franceinter/em/cestlenoir/

    La maison où tu travailles va connaître une véritable implosion dans les mois qui viennent. L’ultralibéralisme sarkozyste est passé par là selon certains, pour d’autres il ne s’agit que de querelles égocentriques et narcissiques purement internes. Peu importe (ou pas).

     

     

     

     Moi je veux te parler de tes émissions qui ont bercé mes soirées adolescentes comme c’est le cas pour toute une génération de trentenaires aujourd'hui. J’essaie de ne la rater qu’en cas d’opportunités ô combien vitales (hormis quelques périodes d’infidélités bien légitimes pour cause d’intérêts éloignés). Elle a clairement contribué à mon éducation musicale dans les genres pop/rock. Il y a quelques années, tu t’es ouvert aux musiques du monde, démontrant là ton ouverture d’esprit habituelle. Tes programmations ont toujours fait preuve d’un grand éclectisme. Mais depuis quelques temps, je te le dis franchement, « on » (disons plus précisément une frange donnée de ton auditoire) s’ennuie ferme à ton écoute. Cela ne tient pas vraiment à une anesthésie auditive  de ta part, non, c’est juste qu’il fut une époque ou un artiste de génie en remplaçait un autre chaque semaine, des Pixies à James, des Wedding Present à The House of Love, d’un Frank and the Walters à un Perry Blake, d’un Cocteau Twins à un Jeff Buckley, le tout entrecoupé du dernier New Order ou Smashing pumpkins.

    Ce renouvellement s’est cruellement tari.  L’émission s’est embourgeoisée au fil des ans, pendant que tes amis des Inrockuptibles opéraient eux une mutation de leur revue, tendant vers un « militantisme » politique plus affirmé au détriment des chroniques de grand talent qui caractérisaient ses débuts. Mais c’est un autre sujet. J’en viens à la question qui motive cette missive virtuelle : ne devrais-tu pas à nouveau renouveler ta formule, t’adapter aux temps chaotiques que traverse France-inter ? Et donc, radicaliser quelque peu ton émission. Jean-Louis Murat et PJ Harvey ne t’en voudront pas, et bien des nouveaux venus pourront agrandir le cercle des désormais majoritaires « désinvoltes mais n’ayant l’air de rien » auditeurs qui t’écoutent. À quand un peu de Killing Joke, de Berurier noir (et surtout leurs successeurs que tu te dois de découvrir) pour éviter d’en venir à Saez qui vise plus les 12/15 ans. Noir Désir n’est pas là actuellement et c’est le grand désert, il faut le dire. Ce ne sont pas les susurrements subtils et atones de Dominique A, Émilie Simon et autres Biolay  qui vont y remédier ou les mélancolies harmonieuses de I Love You but I've Chosen Darkness  qui peuvent s’interposer au flux et reflux délétères  qui assaillent ta fréquence.

    Placebo déroule son talent indéniable qui a vampirisé l’héritage de Cure, l’inceste n’est plus loin.

    Par ailleurs,  pourquoi ne pas t’ouvrir à de nouvelles scènes que tu sembles ignorer majesteusuement alors qu’elles ont pris une place incontournable sur le plan européen et même international, je parle des scènes indus, néofolk, néoclassique

    ou plus trivialement gothique (qui charrient leur lot respectif de caricatures grotesques, mais aussi de pépites incontournables, comme pour toutes les mouvances musicales).

     

     

     

    Certains traînent une très mauvaise réputation pourras-tu immédiatement te dire en songeant à ces voies de traverses musicales. Pourtant, n’oublie pas que Joy Division provient de la scène Punk  et a poursuivi cette tradition de la provocation esthétique et idéologique non par militantisme, mais pas pure démarche transgressive comme pratiquée par Georges Bataille ou Antonin Artaud. Bowie, Siouxsie and the Banshees et les désormais consensuels The Cure  ont eu à souffrir à diverses occasions des mêmes images néfastes pour des raisons la plupart du temps parfaitement absurdes (je songe notamment à la chanson Killing an Arab de Robert Smith qui faisait référence à l’étranger de Camus et a été instrumentalisée par des incultes, contraignant le groupe a en modifier le titre lors de ses tournées !). Ou à d’autres écussons dont tu connais la nature portés par des formations pourtant indiscutables sur le plan éthique. Enfin bref, je t’invite à une certaine radicalisation musicale, quelle que soit la direction que tu pourras (dans le contexte actuel, j’ignore quelles sont tes marges de manœuvre) et souhaiteras lui donner.  Interpol,  65 days of Static c’est bien gentil, mais bon, on meurt de trop de gentillesse. La perfection technique des divers groupes qui colonisent ta tranche horaire est gravement carencée justement d’un certain amateurisme salvateur. Trop de pros qui réutilisent de vieilles méthodes artificiellement complexifiées harmoniquement parlant. Pas assez  d’expérimentateurs. Un peu de mauvaiseté ne ferait pas de mal à tes diffusions pour la sortir des chambres du Marais ou des lofts habités par des étudiants entretenus par leurs parents qui révisent leur droit en prêtant une oreille distraite à tes sons. Et puis pourquoi   laisser une certaine jeunesse de banlieue livrée à un rap médiocre diffusé par la répugnante Skyrock (au titre infondé) alors que l’on tient une Keny Arkana par exemple ? Le dogmatique binôme pop rock a fait long feu par les temps qui courent, il devient par trop élitiste et docile aux bouffons du roi qui ont pris les rênes des médias depuis fort longtemps.

    http://www.deezer.com/fr/#music/playlist/radicalite-46291981

     

    Recopier et coller ce lien ci-dessus pour y accéder.

     

     

     

    Redeviens dérangeant et innovant Bernard.

    Bien cordialement.

     

    Ps : la petite fille de Guy Debord, Jeanne D, t’écoute depuis Albissola en Italie et se plaint aussi. ^^

     


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  • Entretien avec la philosophe Athane Adrahane

    Tr : À propos de cruauté, vous affirmez que l’art fasciste ou totalitaire n’existe pas. Il y eut pourtant les sculptures d’Arno Breker, les films de Leni Riefenstahl ou l’architecture de Speer…n’idéalisez-vous pas l’artiste ? L’art au service d’une propagande existe depuis toujours ; actuellement, il se met souvent au service de l’ultra libéralisme économique.

    AA : L’artiste n’est jamais à l’abri de la corruption. Il y a toujours un risque qu’il dévie de sa ligne éthique, qu’il se vende et quitte le champ de la création…la vigilance est toujours de rigueur. Je crois avoir bien insisté sur cette problématique dans La conscience magique, mais également sur ce cas, non moins rare, d’un détournement d’un art par un système ou une industrie, et ce, en vue d’une manipulation des masses. L’art se voit alors utilisé comme outil de propagandes visant à enchaîner un public aux intérêts d’un système dominant. La culture de l’audiovisuel regorge d’exemples. Lorsqu’on voit une pub pour des 4x4 jumelés à des images du peuple Massai en pleine danse, en pleine nature, pour moi ce n’est pas de l’art, c’est du marketing destiné à vendre des 4x4 en se servant de l’attrait esthétique qu’exerce sur le public le soleil et le dépaysement qu’offrent les derniers peuples authentiques. Pourtant, on utilise pour ce faire l’art de la photographie et de l’infographie. Et lorsqu’un des fonctionnaires de l’administration Bush écrit le discours du président afin de convaincre l’opinion publique de faire la guerre en Irak et ce, en utilisant la force et le pouvoir des mots, est ce qu’il s’agit d’art pour autant…ou plutôt d’un détournement de la langue afin de servir les intérêts d’un système dominant ? C’est plutôt ça, je crois. La création telle que je la conçois, tel que ce mot a pris sens et corps au sein de mon expérience, car il n’y a pas qu’un seul sens, à chacun sa vision de la création pour moi donc, la création, qu’elle soit musicale ou philosophique, se vit en résistance à une culture saturée de mots et d’images dépourvus de toute magie, devenus trop souvent outils de propagande et d’asservissement des différences à un modèle unique. Pour moi , le défi de l’artiste, c’est de restaurer, libérer de la vie partout ou celle-ci se voit amoindrie, dégradée, étouffée, bafouée, bref de parvenir à déployer la grande respiration.

     

    TR : Vous pratiquez la musique, l’écriture, la philosophie, la photo…comment parvenez-vous à tout concilier ?

     

    AA : Je travaille énormément. En fait, tout marche ensemble : arts, philosophie et vie. D’où ma passion pour le cinéma qui est agencement et mise en danse de tous ces arts. Je me vis donc comme un cinéma ambulant dont l’art est de créer des passerelles entre ces différentes façons de penser. J’aime les connexions entre mondes hétérogènes. Que se passe t’il quand la philosophie habite le Rock ou que Marilyn Manson se ballade dans un livre de philosophie ? En fait, ce que je découvre en philosophie ensemence ma pratique de l’image ou de la musique et inversement, c’est la fabuleuse transe des sens.

     

    Athane Adrahane est philosophe de formation, auteur d’un essai, La conscience magique (Substance, 2003) et autres textes philosophiques, poétiques dont la danse insensée des sens (cahiers internationaux de Symbolisme). Conférencière, photographe (plusieurs expositions vivantes avec G.Sens, site www.anomaltribu.com) et créatrice d’images vidéos (les corps voyants…)

    Nombreux travaux de compositions vocales. Travaille actuellement à la création d’un album de musique au sein du groupe « Artères ».

     


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    Entretien avec la philosophe Athane Adrahane

     TR : Vous pointez l’enfance comme le lieu de l’indéterminé (se rapportant à La Fidélité de Zulawski), où la magie opère à plein, où les rêves ne font qu’un avec le sujet. N’est-ce pas le point crucial, comment préserver cette zone de l’esprit que le monde dit adulte s’évertue à vouloir réguler, ordonner et anesthésier ?

     

    AA : L’enfance non pas comme une question d’âge, mais comme cet espace ouvert à la multiplicité des devenirs. L’enfance, dès lors que rien n’est encore figé, que tout est en chemin, que tout est magique. Ce qui pour moi incarne le monde adulte, c’est un monde tristement clos sur lui-même, parvenu à son parfait développement, un monde figé dans ses certitudes, coincé dans ses définitions et qui n’accepte plus d’apprendre de ce qu’il rencontre. La création est le lieu de l’enfance par excellence parce qu’ouverte à de nombreux chemins. Elle est cet incroyable processus d’exploration de nos multiples personnages, un espace-temps où l’on peut laisser champ libre  aux langues de nos peuples, insectes, oiseaux, ours, anges, forêts, oui c’est un espace-temps où l’on  peut faire vivre ses rêves…C’est aussi un espace d’expression où l’on peut rencontrer les autres d’une  très belle façon, parce qu’au niveau de notre solitude, de notre authenticité.

    TR : David Lynch est le cinéaste du mystère. Vous analysez fort précisément certains de ses films et tous ses fans où ceux qui l’ignorent encore ne pourront qu’y trouver une matière riche pour mieux s’abandonner à son œuvre. Savez-vous qu’il veut promouvoir la méditation transcendantale qu’il pratique depuis 32 ans ? Il vient de créer une fondation dans ce but. Vous-même, avez-vous déjà abordé une spiritualité particulière ou bien la trouvez-vous essentiellement à travers l’art ?

     

    AA : Oui, je sais et je trouve son engagement, son initiative très belle et très intéressante. Œuvrer à donner la possibilité à tout étudiant américain de pratiquer à l’école la méditation transcendantale : beau et vaste programme. Tout travail dont l’urgence est d’élargir le champ de la conscience, de déployer notre créativité, de restaurer une place pour le silence, de déjouer les méfaits du stress qui assaille continuellement nos corps et nous coupe de l’essentiel est une urgence capitale actuellement. Je crois en l’efficacité pratique de ce type de recherche. Maintenant je ne l’ai pas expérimentée donc je ne peux pas en dire plus. Mais je suis une enfant du Lynch monde. Celui-ci s’est emparé de moi il y a de ça 16 ans, avec Twin Peaks() . Son univers de création m’a permis d’apaiser mes violences, de maintenir mes yeux ouverts face à mes peurs, de déployer ma créativité dans un chemin qui m’est propre, en restant fidèle à mes visions, à mes peuples. Donc, j’ai beaucoup de respect pour ses mystérieux chemins. Quant à moi, oui, c’est l’acte de créer (qu’il soit philosophique, musical…) qui me permet de déployer le chemin de ma conscience. Mais de nouveau art et style de vie sont intimement liés. La pratique du chant, notamment, requiert de se mettre à l’écoute de son corps, de ses respirations, c’est ma méditation à moi.

     

    TR : Vous pratiquez la philosophie et cette grille de lecture via Deleuze et Nietzsche notamment éclaire la plupart de vos analyses. Que conseilleriez-vous comme ouvrages pour un néophyte qui veut s’initier à cette discipline ?

     

    AA : La conscience magique se voulait, entre autres, une initiation à la philosophie, à une certaine philosophie, non coupée de la vie, puisque ce livre, outre les mondes de cinéma qui le traverse, se voit notamment guidé par les philosophes Nietzsche et Deleuze. Mais il est bon que l’on se frotte directement à l’univers de ces philosophes. Pour une approche en douceur de Deleuze, je dirai : L’abécédaire de Gilles (vidéos), l’écoute de Schizotrope et le livre Dialogues. Pour Nietzsche, je dirai : Ainsi parlait Zarathoustra et Le gai savoir.

     

    TR : «  De nos nuits, les spectacles de Marilyn Manson sont proches de ce qu’Antonin Artaud entendait par « théâtre de la cruauté » car ils sont capables d’exalter ces énergies vitales… » Quels autres artistes musicaux vous accompagnent ?

     

    AA : Einstürzende Neubaten, Dead Can Dance, Nine Inch Nails, Jacques Brel, Nick Cave, The Cranes, Thiéfaine, Diamanda Galàs, Philip Glass.

     

     

     

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    TR : Vous dites «  Ce n’est que lorsqu’on aura cessé de croire à la suprématie du règne de l’homme sur les autres règnes, que l’on pourra se sentir connecté aux lignes de l’univers, aux puissances cosmiques, aux forces du dehors. » Quels moyens vous semblent les plus adaptés pour ce faire ?

     

    A.A : Pour ma part, ce fut le contact avec les mondes de la création. La musique, la poésie, telle ou telle scène de film m’ont connecté à ce « trop grand », à ces forces du dehors, à ces puissances telluriques et cosmiques. Enfant, nous sommes souvent visités par de telles expériences. Nos langues sont souvent mêlées à celles de drôles d’animaux. Nous voyons des liens partout : le soleil, l’arbre, le peuple des papillons. Mais la rationalité et le monde adulte à tôt-fait de faire taire ce type d’approche comme peu apte à favoriser notre entrée en sociabilité. La création m’a permis d’appréhender ces forces d’une manière viable. La première fois que j’ai entendu Dead can Dance, les préoccupations mondaines se sont tues en moi, j’étais connectée à l’essentiel. Mais aussi, les rires et les pleurs de Laura Palmer dans la Red Room ou encore les chants de Zarathoustra. La fréquentation des volcans, des montagnes, de l’océan, l’expérience de l’amour, des concepts de Gilles Deleuze, que tout cela ait lieu au niveau de l’écriture, de la philosophie, du chant, de la sculpture, ou ailleurs, à même une ballade en forêts, lors de la rencontre d’une fleur ou d’une étoile, voilà des expériences qui nous remplissent de ce sentiment du « trop grand », du « trop beau ». On se sent tout d’un coup tout petit, pas très important, juste à notre place…passagère petite poussière stellaire. Alors, on œuvre du côté de la vie, on la sent précieuse, magique. Cette vie, on a envie de lui dire merci et de la faire proliférer, au lieu de vouloir la posséder, de s’en servir comme si elle nous était acquise. 

     

    Nous vivons dans un monde où l’homme se pense le roi de la création, or il n’est qu’un peuple parmi bien d’autres. Il est temps qu’il le comprenne. « Quel moyen…pour ce faire » ? : l’art n’est pas un moyen pour, je n’utilise pas l’écriture pour parvenir à telle ou telle fin. Art et vie sont chez moi inextricablement liés. L’art lorsqu’il est déploiement d’une conscience magique est un terrain propice pour expérimenter d’autres forces de vie que celle de l’homme, pour accueillir en nous le chant de l’univers, pour recontacter cette idée que la vie est un tissu de relation qui ne cesse de se créer. Je pense à la photographie. Un arbre solitaire et majestueux nous séduit par sa puissance, sa traversée des siècles. On le veut absolument en photo. Qui sait où cela peut nous conduire. On ne « prend » pas la photo d’un arbre. C’est toute une approche. Il faut rencontrer sa solitude, ses peuples, apprendre sa lumière, ce que lui dit le soleil, il faut tisser des liens, pour qu’ait lieu l’évènement de la photographie. L’art, c’est se mettre à l’écoute de l’autre, c’est une affaire de devenir, ici le devenir-végétal et qui sait où cela nous conduira après…sans doute un jour à nous battre pour qu’Epson sorte une gamme de papier photo recyclé…

     

    TR : À juste titre, vous vous attardez sur le cinéma de Zulawski, le considérant comme porteur de ces énergies libératrices. Comment expliquez-vous que la réception de son œuvre soit globalement si hostile (« cinéaste fou », « hystérie », « délire », « grotesque » étant souvent les qualificatifs utilisés pour le décrire) ?

     

    AA : Les films de Zulawski ne machinent pas suivant l’enchaînement rationnel des images. Sa création d’image suit la logique des affects et des intensités. La langue y est vécue du côté du corps et ses passions (corps-souffle, corps-cri) et non du bavardage qui tue le temps. Bien des gens ont peur de ce qui pourrait bousculer leur schéma de pensée, entraver leur confort visuel, leur esthétique de la complaisance. Souvent les gens fonctionnent suivant des grilles standardisées de lecture et dès qu’un comportement sort de cette récognition, ils préfèrent le réduire, le juger, le rejeter plutôt que de se risquer à le penser, parce que c’est trop difficile, trop risqué. C’est triste. Il y a pourtant autre chose à voir chez Zulawski. Il y a ces danses de corps qui s’attirent et s’éjectent, créent ensemble d’autres corps ou ne parviennent plus qu’à se détruire. Chez Zulawski, il y a aussi toute cette mise en abîme de l’art, cette façon de se rencontrer à travers la création, qu’elle soit musicale, cinématographique ou photographique. Ce regard lucide sur l’âme de l’homme, sa grandeur et aussi sa médiocrité. Il y a ces scènes immenses entre Romy Schneider et le photographe (http://www.youtube.com/v/snl-J9qjm2k&hl=fr_FR&fs=1&"></param><param), il y a les pleurs de Kinski, il y a les danses de Shamanka, les visions de Chopin. Il y a toute cette réflexion dans La Fidélité sur la difficulté qu’il y a de rester honnête dans un monde où la corruption règne en maître. Zulawski est un très grand cinéaste et j’espère qu’on le redécouvrira.

     

    http://www.youtube.com/v/3rMRGC_NEcg&hl=fr_FR&fs=1&

     

     

    http://anomaltribu.com/page/conscie...


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